samedi 25 avril 2020

Jour 40 ¾


Ce type est très agité. Pendant que je traine mes savates jusqu’à la porte, je l’entends trépigner, puis quand j’ouvre il zyeute inquiet l’escalier en bas, en haut et il piétine mon paillasson fatigué. Je le fais entrer, il se jette dans l’entrée comme un pli urgent.
J’éternue, il me regarde l’air satisfait et inspire à pleins poumons. A brule-pourpoint, il me demande : vous êtes sûr que c’est ça ? Je lui dis oui, j’ai été testé, ma femme est en réanimation. Parfait parfait répond-il. Comme je fais la gueule il se reprend : non non bien sûr, ce n’est pas ce que je voulais dire, c’est très malheureux, vous avez des nouvelles ? Non son téléphone n’a plus de batterie, je grogne. Il m’énerve ce type.
Pour en finir au plus vite, je dis venons-en au fait. Je vous ai gardé mes mouchoirs de la matinée et voilà mon pyjama. J’ai éternué dans le coude depuis le début. Il est aux anges, magnifique magnifique dit-il. Il m’a tout l’air du cadre qui tourne en rond comme un tigre dans son living. Bon, combien voulez-vous ? Ça va être cher vilain loustic. J’annonce cinq mille. Il ne sourcille pas, un chèque ça vous va ? Je lui dis, ben oui et on le fera certifier devant notaire aussi. Il reste muet, je continue : du cash évidemment. Vous savez que c’est un petit peu interdit, ce qu’on fait là ? Il fait ah oui, naturellement. Par contre, je n’ai pas tout ça sur moi. Ah, ça ne va pas être possible alors, je réponds sans égards. Il prend un air terrifié : écoutez, je dois sortir, je deviens fou chez moi, j’ai une entreprise qui m’attend, j’ai un chiffre à tenir, j’ai failli frapper mes enfants hier, j’ai même été obligé de faire un scrabble avec ma femme !
Il me fait un peu pitié, au fond c’est un pauvre workaholique qui a besoin de son pain de mails quotidien. Je lui dis, vous avez qu’à me donner votre montre là. Il a un gros machin moche en ferraille jaune, un truc de banquier genevois. Il la regarde, hésite, elle vaut le double, gémit-il, c’est un cadeau de ma femme. Sa femme a mauvais gout, je le savais déjà. Je joue sur du velours : c’est vous qui voyez. Il se tortille, il fait ah non quand même de la tête, mais il la défait et me la tend. Je la prends, lui donne mes miasmes dans leur poche plastique et le fous dehors, en lui disant mâchez bien surtout. Il me remercie éperdument. Il n’y a pas de petites victoires.
 

2 commentaires:

  1. Quand yen a pour un, yen a pour deux

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui. En l'occurrence c'est même plus que ça : il y en a pour 3,5, c'est le R0 qui l'a dit.

      Supprimer