Affichage des articles dont le libellé est éloges. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est éloges. Afficher tous les articles

lundi 13 juillet 2015

Eloge du grumeau

C'est le cauchemar de la crêpière, le grumeau, le défaut qui ruine l'ensemble. Le grumeau est un maître sévère : il est le symptôme d'une négligence, qui fait échouer une entreprise simple. Il nous parle comme le commentaire d'une maîtresse en rouge dans la marge : étourderie. Le grumeau sanctionne. Il nous rappelle à quel point toute tâche, même modeste, mérite notre attention. On ne s'exonère pas du réel.
Mais le grumeau nous dit aussi autre chose : pour quelques perles de farine, faut-il sacrifier tout le saladier ? Ne peut-on pas assimiler ces résidus de mélange ? Mais aussi est-ce nécessaire ? Faut-il vraiment les écraser un à un, avec le dos de la cuillère, sur le bord du récipient, pour les dissoudre ? Ou les jeter ? L'homogénéité doit-elle être totale dans le récipient ?
Sous ses airs d'erreur minable, le grumeau nous tance et nous questionne.


dimanche 28 juin 2015

Eloge de la peur

Nous, les hommes, vivons sous une injonction de bravoure. C'est même la définition de la virilité : avoir des couilles.
Mais avoir des couilles sans avoir de tête peut faire mourir. C'est pourquoi il est aujourd'hui indispensable de réhabiliter la peur. Grâce à elle, des malins, des créatifs, des adroits, des endurants ont survécu à travers les âges. Sans la peur, ils auraient couru au devant des pires dangers, avec la triste fin qu'on imagine. Et sous l'effet du tri, l'espèce n'aurait plus rassemblé que des brutes épaisses, voire elle aurait simplement disparu.
Alors glorifions les froussards, les couilles molles au Panthéon ! Qu'ils transmettent leurs gènes de sensibilité, pour que la civilisation dure et s'épanouisse ! Sans eux, on en serait encore à chasser l'ours à mains nues.


samedi 6 juin 2015

Eloge de la ferraille

Pièces modestes qui peuplez nos poches, votre grandeur est discrète. On vous méprise, on vous pose dans des coupelles oubliées, on ne se penche pas même jusqu'à vous quand par malheur vous tombez à terre.
Mais votre noblesse est antique : vous portez des symboles désuets, certes, mais ô combien révélateurs de la vie des nations. Ces semeuses énigmatiques, ces croix frisées portugaises, ces myrtilles finlandaises, comme elles parlent de l'âme des peuples !
Et comme on gagne à vous suivre dans vos errances secrètes ! Les trous que vous formez au fond de nos poches, vos cache-cache espiègles dans les doublures de nos manteaux nous révèlent des lieux insoupçonnés, des troisièmes dimensions vestimentaires. Vous révélez les mystères dans lesquels nous nous enroulons chaque jour sans le savoir.
Seuls les petits enfants connaissent votre vraie valeur.


mercredi 19 février 2014

Eloge de l'andouille

Prenez l’andouille fermement en main. Coupez-la en son milieu. Selon sa confection, on y voit une foule de vermisseaux, de plis et replis intriqués, ou bien un rayonnement concentrique, menant l’œil vers un centre mystérieux, lui aussi plein de replis. Sans être parfaitement fractale, l’andouille est toujours labyrinthique.
        Il n’est pas question ici de défendre le terroir ou le savoir-faire français, gravier roulé par la déferlante de la mondialisation culturelle. Non, pas de slogan identitaire dans l’andouille : elle est bien au-delà des revendications d’une époque, étant de noblesse immémoriale. L’andouille transcende grave. Avec sa chair faite de tripes, elle tire parti de toutes les ressources et transforme des déchets en apéro délicieux. L’andouille est un plaisir né d'un monde de rareté.
        Alors l’andouille sent la merde, oui, mais quand même.

dimanche 2 février 2014

Eloge du tétraèdre

Tétraèdre, tu portes un nom bien barbare, hérissé d'aspérités. Mais, sorti d'un esprit limpide, tu planes dans des sphères géométriques éthérées. Tes formes sont d'une rare pureté : quatre triangles assemblés en une boîte primordiale, pyramide parfaite à la simplicité mystique. Ton nom plein d'R annonçait pourtant cette légèreté.
        Mais comme tu nous fais défaut dans notre quotidien ! Où sont les parachutes de Léonard de Vinci ? Où sont les pyramides des civilisations englouties, les Ys, les Atlantides, les Klingons ?
        Il ne nous reste de toi que de petits emballages cartonnés au nom encore plus barbare que le tien.
        Mais ces briques contiennent du lait sucré. Ainsi, malgré tout, de la graisse, du sucre : tétraèdre, tu gardes en toi le soleil qui nourrit notre viande.

lundi 27 janvier 2014

Eloge des microbes

« Touche pas par terre, c’est sale. »
        Au contraire, penchons-nous. Près, plus près du sol, jusqu’à rencontrer la vie qui grouille à nos pieds. La diversité des microbes est astronomique. Même les insectes doivent s’avouer vaincus : le peuple des microbes est innombrable.
        Et changeant. Ça mute pour un oui ou pour un non, ça s’échange des morceaux, ça s’infecte, se colonise, se tue, se dévore sous toutes les latitudes, dans toutes les circonstances : nos nombrils abritent des carnages.
        Chaque microbe a sa bête noire mais aussi ses alliés. L’algue et le champignon s’imbriquent depuis le fond des temps pour former les lichens, colonisant sans faiblesse les milieux intolérables. Sans les bactéries de notre intestin, nous mourons. Les amours de la moisissure et du lait enfantent le roquefort qui nous transporte.
        Alors les microbes nous tuent parfois, oui, mais c’est bien le moindre de leurs pouvoirs.

lundi 6 janvier 2014

Eloge du roulement à billes

        Un anneau. Un autre plus grand. Entre les deux, des billes. Deux sections de disques pour tenir les billes dans un réduit. Le roulement est là.
        Ingéniosité dépouillée, une goutte d’huile et le roulement nous emmène au bout du monde. Sa grande mission, son dévouement, son sacrifice, finalement, car il y laisse son existence, c’est d'endosser les frottements.
        Les frottements nous freinent, les frottements nous fixent. La mobilité, l’échange, la connaissance du monde, les longues promenades à vélo dans le soir finissant, c’est le roulement qui nous les offre. La fin de l’isolement, de l’arriération au fond d’une vallée perdue ou au bout d’une presqu’île battue par les vents, c’est grâce au roulement. Le roulement a sonné le glas du crétinisme des Alpes.
        Le progrès arrive en skate.

dimanche 29 décembre 2013

Eloge du camembert

        Camembert !
        Astre à la rotondité parfaite, qui se lève au crépuscule des banquets ! Comme tu illumines de ta saveur nos papilles usées ! Comme tu nous transportes loin des fadeurs et des tambouilles banales !
        Alors que les abus nous assomment, que l'alcool embrume nos sens, alors que nous attendent les ornières de la plaisanterie égrillarde, tu nous saisis de ton haleine violente, tu nous souffles au fond des bronches et nous claques le bulbe olfactif.
        Camembert ! Sans toi, les repas ne seraient que longues déchéances, voyages en descente des amuse-gueule aux pousse-café, déliquescences des sens et des esprits finissant en indigestions comateuses.
        Camembert !
        Tu es sans nul doute le salut des bonnes mœurs, du lien social et de la littérature des fins d'après-midi.

lundi 16 décembre 2013

Eloge de l'économe

      Dans l’ombre d’un tiroir de cuisine dort un héros en costume d’humilité : l’économe.
        L’économe a changé la face du monde. Songez comme, avant son avènement, nos grands-mères s’escrimaient à éplucher les patates sans gaspiller, avec de méchants couteaux d’office ! Songez à l’adresse qu’il leur fallait pour épouser les vicieuses circonvolutions de ces racines ! Car alors, les patates n’étaient pas blondes ni rondes comme aujourd'hui. Non, elles étaient boursouflées et verruqueuses ; même les frites n’étaient pas tout à fait carrées.
        Mais grâce à l’économe, la corvée de pluche est devenue un plaisir. Tandis qu’on tient tendrement de la main gauche l’objet du désir culinaire, on le déshabille prestement de la main droite. En un clin d’œil on met à nu la quintessence légumineuse qui nourrit nos chairs et nous offre ses précieuses vitamines. Simultanément et comme par magie, on accumule un petit tas d’épluchures, non moindre richesse qui alimentera le compost dont se repaissent nos lombrics replets.
        Croyez-moi, l’économe libère la femme, revigore la santé publique et participe au renouveau de la nature. L’économe est l’incarnation du développement durable.

mardi 3 décembre 2013

Eloge de la brume

       On n'y voit rien ce matin. La purée de pois enveloppe chaque élément du paysage. Toutes les choses familières, la voiture du voisin, le peuplier d'en face prennent des allures de fantômes venant hanter notre quotidien. Ça fait un peu peur peut-être.
        Mais quelle joie de voir enfin de la nouveauté ! Comme la brume se joue de la routine, cale dans l'enfilade des semaines un petit coin d'exception ! « Tu te souviens, c'était ce jour où on n'y voyait pas à dix pas ! »
       En estompant les contours, la brume change les points de vue et révèle des choses qu'on ne percevait pas. Le mur d'en face est fissuré. Le feu vert brille plus fort que le rouge.
        La brume est un filtre qui révèle la platitude de nos vies. La brume est dure mais juste.

dimanche 17 novembre 2013

Eloge du cancer

        Le cancer est un monstre, oui, c'est un crabe qui nous dévore de l'intérieur. Mais il a deux grandes qualités.
        Notons d'abord que le cancer nous parle. Il est là pour pousser, croître et embellir, pour nous déloger de notre propre corps. Pourtant, il est constitué de nos propres cellules qui, prises de folie, veulent vivre éternellement. Cette folie provoque la mort de l'ensemble.
        Entendons ensemble le message du cancer : quand quelques-uns veulent accaparer toutes les ressources, allant même jusqu'à vouloir vivre éternellement, ils ne parviennent qu'à gangrener l'ensemble dont il font partie. Tout finit par s'effondrer et l'hubris emporte aussi ceux qui y ont cédé.
        Le cancer a une autre grande qualité : il est honnête ; il est là pour tuer. C'est rare qu'on annonce aussi clairement la couleur, surtout quand elle est noire. Et le cancer frappe tout le monde, riches et pauvres, vieux et jeunes, même les petits enfants.
        Le cancer est un gauchiste terroriste.

dimanche 27 octobre 2013

Eloge du pourri

        Pourri !

        Loin d'être une insulte, cette épithète devrait flatter l'ego. Pensons un instant à ce que serait notre planète sans le pourri. Sans le travail des cloportes, xylophages, tardigrades et autres bestioles monstrueuses : un monceau de cadavres. Des strates de cadavres empilés. Darwin n'aurait eu aucun mérite.
        Mais, âmes sensibles, chassez cette vision d'horreur de votre esprit, et sentez naître en vous la reconnaissance pour le pourri. Admirez comme du déchet, de la mort, de la fin, il tire la jeunesse, l'élan, la vie en somme ! Le pourri, c'est la résurrection permanente.
        Alors désormais, au lieu de vous écarter l'air pincé des ordures éventrées, de contourner les décharges, ciselez donc des poèmes sur les charognes, soyez pénétrants, soyez saprophiles !

vendredi 27 septembre 2013

Eloge du pneu

        Le pneu n'a pas la considération qu'il mérite.
       D'abord le mot. Admirez cet ovni. Une paire de consonnes impossible, suivies d'une queue coupée. On dirait un boxer à trois pattes.
      Sans parler du pluriel en S. C'est sans doute une sorte de décoration pour services rendus, une référence aux virages dangereux où le pneu fait son œuvre, guidant nos cylindrées puissantes sur l'asphalte. Sans lui, nos Maseratti finiraient en bas-reliefs dans les abribus.
       Mais voyez son humilité dans l'accomplissement de sa mission ! Alors que nous calons nos escarres dans des baquets de cuir, lui va au charbon. Pneu sur bitume, étreinte des hydrocarbures, il assèche la route, encaisse les déformations et nous mène à bon port.
       Et quand il est trop vieux pour courir les routes, il continue à servir coûte que coûte, vaillant toujours, lestant les bâches sur les silos, immobile désormais.
       Puis on finit par le brûler, et tout ce qui nous vient à l'esprit, c'est que ça pue.