mardi 31 mars 2015

1+0=2

        En 2051, le Parlement européen finit par autoriser le clonage à des fins reproductives. Pour André, ce fut une délivrance. Étant d’un naturel sauvage, il n’avait jamais trouvé de compagne et d’ailleurs n’avait aucun penchant pour la copulation. Il se lança aussitôt dans la procédure de clonage. On lui préleva très simplement une goutte de salive, puis un œuf anonyme reçut son ADN et fut implanté dans un utérus lui aussi anonyme, probablement moldave.
        La naissance eut lieu en janvier 2052 et le bébé fut tout naturellement appelé André Junior. Dès son arrivée, toute la vie d’André tourna autour de lui. Prudent, André avait vérifié auprès de sa propre mère qu’il avait été un bébé facile : à cinquante ans passés, il ne se sentait pas le courage de se lever la nuit pendant des mois.
        Ses espoirs furent déçus : Junior était d’un naturel agité et pleurait beaucoup. Il ne fit ses nuits qu’à dix mois puis enchaîna les cauchemars pendant plusieurs années.
        Bien sûr, il ressemblait énormément physiquement à son père, malgré un teint de peau plus clair, et il était comme lui d’un naturel volcanique mais taiseux. Cependant, plus les années passaient, plus leurs chemins divergeaient. André, qui rêvait de partager ses passions, philatélie, héraldique, football gaélique, vit avec désespoir son fils tomber dans le rugby à treize et le théâtre contemporain. Junior en particulier négligeait la cuisine japonaise dont André raffolait, lui préférant le bortsch.
        Puis un jour Junior disparut, laissant un mot disant qu’il partait à la recherche de sa mère et que désormais il s’appelait Andrzej. Alors André, souriant entre ses larmes, se souvint avec émotion comme il avait quitté précipitamment le domicile parental à seize ans.


dimanche 15 mars 2015

Simon la souris

         Simon passe sa journée sur un carré de plastique de vingt centimètres de côté, dans le ronron d'un ordinateur. Il parcourt continuellement cet espace de mouvements nerveux. Il ressent un certain sentiment d'importance : il est le messager qui fait connaître la volonté de la main à l'unité centrale, le lien entre les intelligences.
        Mais au-delà de cette petite vanité, Simon s'emmerde bien. Son horizon est étriqué, bordé d'un côté par un bourrelet de mousse anti-tendinite, abritant des millions de bactéries, de l'autre par un fatras de post-it abritant d'autres bactéries. Or Simon ne s'intéresse pas aux microbes. En fait il voudrait s'enfuir, quitter son carré gris. Au lieu de ça, il s'use à la tâche.
        Puis un jour, le miracle arrive : son carré de plastique disparaît. Simon n'en croit pas ses yeux et se sent pris d'un vaste appétit face à l'immensité du bureau. Las, son champ d'action est limité par le fil : Simon est un peu vieille France, il a toujours refusé la wifi et son nouveau terrain de jeu est à peine plus grand qu'avant. Si au moins sa trajectoire s'imprimait sur le bureau, il pourrait faire du Pollock et faire éclater sa créativité à la face du monde mais non, il reprend sa course folle sur un timbre-poste. Les rongeurs sont toujours brimés.


mardi 10 mars 2015

Myconet

A cette époque, on connaissait depuis longtemps la symbiose entre les plantes et les champignons : il s'agissait d'un mariage mutuellement avantageux, dans laquelle les partenaires échangent des minéraux, des sucres et de l'eau. Dans ce cadre, les champignons dialoguent constamment avec les plantes. Mieux que ça, leur réseau (puisque les champignons sont avant tout des radicelles) relie les plantes entre elles et leur permet de procéder, elles aussi, à des échanges.
Cette découverte resta cantonnée aux laboratoires quelques décennies, jusqu'à ce qu'on invente Myconet au tournant des années 2030. La célèbre mycologue Céline Plini décida de tirer parti des stupéfiantes capacités des champignons. Après quelques manipulations génétiques, au cours desquelles un de ses protégés lui nécrosa un poumon, elle mit au point un champignon capable de transporter un nouveau type d'antibiotique.
        Un premier dispositif expérimental relia d'abord les hôpitaux de la Pitié-Salpêtrière et de Saint-Antoine à Paris, avec un résultat tout à fait satisfaisant : le champignon transférait à la demande les molécules nécessaires. Fort de ce succès, le réseau fut étendu à tous les hôpitaux parisiens. Cette extension ne prit que quelques jours : la croissance du champignon était exponentielle. Les pharmaciens hospitaliers se frottaient les mains : la gestion des stocks devint bien plus souple et efficace.
        Les trafiquants se frottaient les mains eux aussi. En deux ans, ils mirent au point leur propre réseau, livrant la morphine dans toute l'Ile-de-France.
        Puis le principe fut encore étendu, avec la mise au point de Myconet 3D, permettant de livrer à domicile la résine des imprimantes 3D. C'est alors que le syndicat des transporteurs bretons commença ses opérations coup de poing.