jeudi 30 avril 2020

Jour 45


Encore un record ! Les prisons françaises ont de la place. Neuf places précisément : il y a 61 100 personnes emprisonnées pour 61 109 places. Si je comprends bien, il faut une catastrophe mondiale pour que la situation en prison soit juste normale. Et on ne parle pas de la vétusté ou des violences.
Renault obtient un prêt de 5 milliards d’euros garanti par l'État.

Paris se met à l’urbanisme tactique et envisage de réserver des rues aux vélos, de laisser comme Vilnius les bars s’étaler sur la chaussée. On réfléchit aussi au logement de demain, réagençable au fil de la journée avec des cloisons mobiles. Pratique pour le télétravail.
Je ne vois rien venir sur le vélo ici, alors qu’on est une ville très cyclophile.

On me propose deux apéros en visio coup sur coup.
Et un plombier disponible – encore un signe de fin du monde – nous change notre vécé décédé en début de confinement.
Les affaires reprennent.

La recherche a repéré un antiviral prometteur pour les cas graves, avec un nom pas possible. Ces trucs-là finissent par -vir ou -mab, c’est forcé. Si bien qu’ils ne riment qu’avec eux-mêmes, ou peut-être à rien. Les pharmaciens ne s'occupent pas de vers. Ou alors des solitaires, qui n'ont donc pas besoin de rimes.

Je reçois confirmation aujourd'hui que le télétravail va continuer jusqu’à juin. Je ne suis pas si déçu. L’essentiel c’est qu’on puisse ressortir un peu plus pour commencer.
Justement ce soir on nous donne la carte de France avec les départements en couleur. Quelle surprise d’apprendre qu’il y a des départements oranges, et que c’est notre cas ! C’est comme se prendre 8 en maths alors qu’on pensait avoir réussi. Apparemment le virus circule un peu chez nous. Je ne l’ai pas vu.
En même temps, la différence entre rouge et vert c’est que les écoles peuvent rester fermées. On est moins déçu d’un coup. De toute façon on refait le point début juin. Et de toute façon tout peut rechanger n’importe quand. Avec de la chance on aura confinement et canicule en même temps. Là ça va mijoter dans les cafetières.
En attendant, on se prend un orage de grêle furieux. J’en ramasse des poignées dans l’herbe, des billes gelées toutes rondes. C’est joli, mélangé aux brins et fleurs fanées du laurier. C’est très froid aussi.

Je passe à la Poste. Pas grand-monde, ni clients ni personnel. Poste fantôme, ça ne partira que mardi monsieur. Très bien. De toute façon le paquet attend depuis six semaines.
On a l’impression que la vie va finir par reprendre. Même si les bars, restos, cinémas restent fermés. On va pouvoir remettre le nez dehors. Et peut-être que début juin ça va se détendre encore. Ou pas.
En Allemagne, ils déconfinent pas à pas.



mercredi 29 avril 2020

Jour 44


L’OMS parle d’une infodémie : épidémie d’intox sur l’épidémie. Le virus a été créé par l’homme, il a même été créé exprès, par des Chinois, par des Français, par des chauves-souris complices de pangolins.

Le FMI attribue une aide de trois milliards de dollars au Nigeria pour lutter contre l’épidémie.
L’OIT dit que la moitié des travailleurs du monde risquent de perdre leur boulot à cause du virus.

Le port du masque est obligatoire dans les magasins en Allemagne. Même dans les banques ? Ok, c’est pas des magasins.
L’épidémiologiste en chef là-bas craint une nouvelle vague plus dure l’hiver prochain : si la contagion continue à bas bruit pendant l’été, il y aura le feu partout et pas seulement dans quelques foyers.

L’Angleterre intègre les chiffres des maisons de retraite et monte à 26 000 morts, presque autant que l’Italie.
On dit à Bolsonaro qu’il y a près de 500 morts en vingt-quatre heures au Brésil, il répond : et alors ?

A propos des aides-soignantes on évoque la notion de travail émotionnel, qui doit être rendu plus visible.

Je relis quelques entrées au hasard de ce journal. J’ai déjà oublié des choses, des états d’esprit du moment qui sont partis en fumée. Ces prélèvements atmosphériques quotidiens ont leur intérêt.



mardi 28 avril 2020

Jour 43 ¾


Rhaa encore un test. J’ai tous les doigts qui saignent à force. Ça plus le gel hydroalcoolique, mes mains ressemblent à des crabes morts. Et ils commencent à te faire le nez maintenant, c’est le nouveau système. A chaque fois ça me fait saigner, ça m’énerve, alors je fais semblant de tousser pour leur tacher leurs blouses. Ils n’osent pas m’engueuler parce qu’une toux sèche, c’est un symptôme. Et une toux grasse, c’est impossible à imiter, mais une toux sèche ça passe crème. Respect, et paf une blouse conchiée. En plus le sang c’est super dur à enlever.  
Ils nous chopent toujours à l’arrêt de bus. Déjà qu’il y en a un tous les quarts d’heure, qu’on rentre un par un et qu’il ne prend que quinze personnes, on n’a pas besoin en plus de se faire emmerder les fosses nasales par des bienfaiteurs de l’humanité. Y en a marre des applaudis de huit heures du soir.
Heureusement j’ai le moral : le collège m’a repris mes zombies, j’ai trouvé une urgence à faire en chair et en os au boulot, il fait beau. Tout ça, ça a été long mais je suis presque au bout.
Voilà mon arrêt, j’arrive devant mon bâtiment. Y a personne, tout le monde préfère télétravailler encore, ou bien on leur a pas repris leurs monstres. Je pose mon badge sur le lecteur, qui fait un bip guilleret. J’enfile le couloir désert, je mets mon manteau au porte-manteau, j’arrose mes plantes qui font la gueule. Je me pose dans mon fauteuil ergonomique, devant mon écran panoramique, j’ouvre ma connexion supersonique. Je suis un professionnel.