dimanche 10 mai 2020

Jour 55


C’est la fin des confitures. On sort du tunnel mou et on recommence à regarder la date. Dès demain c’est robe à crinoline pour tout le monde, pour garder sa distance.

Beaucoup de choses pour ce dernier jour de bocal.

Résultats à ce jour : États-Unis 80 000 morts, Angleterre 32 000, Italie 30 000, Espagne et France 26 000. On y reviendra après la deuxième vague.

Ça peut faire un peu peur maintenant de déconfiner, mais à un moment il va falloir recommencer la vraie vie. Enfin c’est pas pour tout de suite : deux nouveaux foyers de virus détectés en France. Quarantaine pour les positifs et leurs contacts. C’est le nouveau régime.
L’Allemagne, qui n’a pas vraiment confiné et a relâché la pression, voit son taux de contamination remonter à 1,1.
La Belgique a inventé un truc à la belge : chaque foyer de quatre personnes peut choisir un autre foyer de quatre personnes, qu’il sera autorisé à voir pendant la période qui s’ouvre. Il s’agit de blocs, on ne peut pas choisir des personnes qui vivent à des endroits différents. La relation est exclusive, c'est-à-dire que les deux foyers sont en binôme et ne voient personne d’autre. Compliqué pour les familles recomposées.
Par ailleurs, dans ce groupe de huit personnes, il faut une répartition identique à celle du pays, soit à peu près cinq Flamands pour trois Wallons. Si c’est possible d’intégrer un morceau d’une personne germanophone, c’est mieux, mais c’est pas obligé. Quand tout ce petit monde se retrouve, le temps de parole doit être réparti selon la même clé. Et les réunions doivent se dérouler alternativement en Flandre et en Wallonie, avec là encore une réunion sur quinze dans le territoire germanophone du Nord-Est si c’est possible mais c’est pas obligé.
C’est vrai que c’est gai l’infox, je comprends que les salauds en raffolent. Cela dit le premier paragraphe est vrai.

Petit bilan littéraire puisque c’est l’heure : j’ai déjà tenu des journaux mais jamais si longtemps ni en publication directe. Le plus difficile a été de tenir la distance : il faut des choses à raconter, et assez vite la routine s’est installée, il n’y avait plus grand-chose à dire sur l’intérieur du bocal. Tout ça a donc viré à la revue de presse subjective. Et il a fallu mettre chaque jour de l’énergie et entre une et deux heures. Il y a eu des après-diners laborieux.
Il a aussi fallu garder le même ton sarcastique et le style expéditif. Pas toujours facile mais c’était intéressant de tester cette plume-là, façon envoie comme ça vient. Ponctuation réduite, expression proche de l’oral, sans trop d’égards pour les bonnes manières linguistiques.
Et de mettre à lire sans laisser reposer. Prise de risque un peu.
Sans doute la lecture ne sera pas la même dans quelques années. C’est surtout pour ça que je m’y suis mis : prendre une pipette de chaque jour pour conserver l’ambiance, les sujets brulants et leur évolution au fil des semaines. Si ça marche, en relisant on aura l’impression de prélever une carotte de glace comme en Antarctique.

Il y aura peut-être encore quelques entrées dans ce journal si certains évènements l’appellent. Encore une fois rien n’est sûr.
En tout cas merci à toi d’être arrivé jusqu’ici.


samedi 9 mai 2020

Jour 54


Après m’avoir affiché une pub pour un jeu post-apocalyptique (jour 14), mon téléphone m’en file une pour un masque trop stylé avec un imprimé calavera. Même avec des fleurs, une tête de mort en ce moment il fallait y penser.

Quelques éléments de bilan avant la fin des émissions. L’épidémie a montré que, quand c’est le bazar, on est content d’avoir un État à peu près organisé et honnête. D’ailleurs tout le monde est tout ouïe : audiences de malades pour télé-Manu et les points santé du soir.
A contrario, voir États-Unis, Russie, Brésil, Chine.
On constate en passant que les ambiances autoritaires supportent mal les messages désagréables : sale temps pour les lanceurs d’alerte, toubibs chinois matés, commandant de porte-avions américain débarqué. Toujours casser le thermomètre quand il annonce de la fièvre. Trop malin en période d’épidémie.

Ici la frousse de la maladie est passée rapidement. On s’est vite retrouvé à gérer un nouveau quotidien plutôt que des peurs existentielles.

J’avais vu passer le type qui a couru le marathon sur son balcon de sept mètres, maintenant j’apprends qu’un autre marsupial s’est carrément fait un ironman sur place : 4 km de natation dans son bassin à contre-courant, 120 km sur son vélo d’appartement, un marathon en tapis roulant. Le voyage, c’est dans la tête.

On a un djeun qui retourne en cours le 18, l’autre peut-être le 25. Ou pas. Ou à mi-temps.
Qu'est-ce qui nous attend dans cette période à venir ? Déjà ça va durer. Et des changements de rythme réguliers : école pas école, confinement déconfinement reconfinement redéconfinement rereconfinement si on est en forme, télétravail total partiel fini total partiel. Télévacances ? Beaucoup d’incertitude. Mourir pas mourir. Des chiffres aussi. Elections municipales. Une sociabilité malmenée, surtout si ça dure. Ça va être long à reconstruire ça.
A l’asymptote, retour à la situation précédente mais pas vraiment non plus : vélo, mesures vertes pour relancer l’économie, relocalisation de certaines activités cruciales médicaments masques alimentation, télétravail un ou deux jours par semaine pour tous. Des gens vont vivre à la campagne. Tout un système pour gérer les prochaines maladies de chauves-souris : stocks, recherche en virologie, suivi de patients, coopération à l’OMS. Tensions États-Unis-Chine. Néo-guerre froide ? Réélection de Trump en novembre ? Et que fait l’Europe dans tout ça ? Explosion de la zone euro parce que divergences économiques après la crise ? Serrage de coudes car les ennuis nous ont rapproché ?
Rien n’est sûr.