mercredi 19 février 2014

Eloge de l'andouille

Prenez l’andouille fermement en main. Coupez-la en son milieu. Selon sa confection, on y voit une foule de vermisseaux, de plis et replis intriqués, ou bien un rayonnement concentrique, menant l’œil vers un centre mystérieux, lui aussi plein de replis. Sans être parfaitement fractale, l’andouille est toujours labyrinthique.
        Il n’est pas question ici de défendre le terroir ou le savoir-faire français, gravier roulé par la déferlante de la mondialisation culturelle. Non, pas de slogan identitaire dans l’andouille : elle est bien au-delà des revendications d’une époque, étant de noblesse immémoriale. L’andouille transcende grave. Avec sa chair faite de tripes, elle tire parti de toutes les ressources et transforme des déchets en apéro délicieux. L’andouille est un plaisir né d'un monde de rareté.
        Alors l’andouille sent la merde, oui, mais quand même.

dimanche 9 février 2014

L'anorexie mentale

Noémie est un génie. Silencieusement, dans un recoin de sa chambrette, elle a posé à sa façon les axiomes d'Euclide et en a redémontré les vingt premières branches annexes. Pendant ce temps, son père dégoise au Rotary avec d'autres importants capitaines d'industrie et sa mère mitonne des sautés de veau.
        Ce matin, Noémie est particulièrement fière, étant venu à bout d'un problème délicat. Sa feuille à la main, elle va voir sa maman à la cuisine et annonce son résultat l’œil brillant. Sa mère lève les yeux aux ciel et rétorque qu'elle ferait mieux d'apprendre le sauté de veau. « Ces choses-là sont pour les savants, sermonne-t-elle, ton père te l'a déjà dit ».
        Noémie est meurtrie : encore une fois, sa maman se fiche de sa belle démonstration. Alors, désespérément assoiffée d'amour, la fillette décide de se conformer à ce qu'on attend d'elle.
        Grâce à quoi, huit ans plus tard, elle épouse un jeune héritier, qui l'engrosse six fois et la trompe autant. Elle prend elle-même un amant, Léonard Persil, naturaliste au Muséum, mais peine à comprendre ce qu'il lui raconte. Elle fait par ailleurs une épouse terne et une cuisinière médiocre, tandis que le XIXe siècle perd sa plus grande mathématicienne, comète jumelle d'Évariste Gallois, éclipsée par de vieilles lunes.

dimanche 2 février 2014

Eloge du tétraèdre

Tétraèdre, tu portes un nom bien barbare, hérissé d'aspérités. Mais, sorti d'un esprit limpide, tu planes dans des sphères géométriques éthérées. Tes formes sont d'une rare pureté : quatre triangles assemblés en une boîte primordiale, pyramide parfaite à la simplicité mystique. Ton nom plein d'R annonçait pourtant cette légèreté.
        Mais comme tu nous fais défaut dans notre quotidien ! Où sont les parachutes de Léonard de Vinci ? Où sont les pyramides des civilisations englouties, les Ys, les Atlantides, les Klingons ?
        Il ne nous reste de toi que de petits emballages cartonnés au nom encore plus barbare que le tien.
        Mais ces briques contiennent du lait sucré. Ainsi, malgré tout, de la graisse, du sucre : tétraèdre, tu gardes en toi le soleil qui nourrit notre viande.