dimanche 27 octobre 2013

Eloge du pourri

        Pourri !

        Loin d'être une insulte, cette épithète devrait flatter l'ego. Pensons un instant à ce que serait notre planète sans le pourri. Sans le travail des cloportes, xylophages, tardigrades et autres bestioles monstrueuses : un monceau de cadavres. Des strates de cadavres empilés. Darwin n'aurait eu aucun mérite.
        Mais, âmes sensibles, chassez cette vision d'horreur de votre esprit, et sentez naître en vous la reconnaissance pour le pourri. Admirez comme du déchet, de la mort, de la fin, il tire la jeunesse, l'élan, la vie en somme ! Le pourri, c'est la résurrection permanente.
        Alors désormais, au lieu de vous écarter l'air pincé des ordures éventrées, de contourner les décharges, ciselez donc des poèmes sur les charognes, soyez pénétrants, soyez saprophiles !

mardi 22 octobre 2013

Aujourd'hui, Maman est vivante.

        Aujourd'hui, Maman est vivante. Ça tombe bien, j'avais besoin de lui parler. Le notaire est venu hier lui signifier sa destitution totale de ses biens, de ses privilèges et de sa couronne. Cette gyropharyngite oblitérante est décidément cause de bien des soucis : il nous faut parfois attendre une semaine pour trouver un moment où Maman puisse nous comprendre, nous faire part de sa volonté bien que désormais ça n'ait plus grande importance , signer quelques papiers.
        C'est maintenant mon frère aîné qui doit prendre le trône. Cette perspective ne laisse pas de m'inquiéter, tant il est peu au fait des affaires du pays et des manœuvres de Cour. A coup sûr, sa rectitude le perdra ; nous sommes entourés de chacals.
        Il faut que je pense à faire empoisonner le cardinal. J'ai depuis longtemps sa petite moustache italienne en horreur et le pouvoir doit désormais reposer dans les seules mains de la famille. Maman a été bien trop faible avec lui et cette liaison tardive a failli tout ruiner. Mais elle en a conçu beaucoup de joie, au crépuscule de sa vie. Comme elle allait à confesse !

dimanche 13 octobre 2013

J'ai longtemps habité dans une petite bicoque.

J'ai longtemps habité dans une petite bicoque
Sans hall ni baies vitrées, sans escalier de marbre.
Dans mon abri branlant appuyé contre un arbre,
Je me faisais cuire un œuf coque.

samedi 12 octobre 2013

Faux départs : la règle

1. Prendre la première phrase d'un classique de la littérature.
2. La transformer de façon à lui faire dire le contraire de ce qu'elle voulait dire.
3. Ecrire sur cette base le début d'un roman ou d'un poème.

jeudi 10 octobre 2013

Lontemps, je me suis couché tard.

       Longtemps, je me suis couché tard. J'ai toujours craint le crépuscule, cette heure sourde où tout bascule. Plus rien n'est ce qu'il semble être habituellement, ce qui était familier devient étranger.
       Aussi, dès le déclin de l'après-midi, je cessais toute activité pour me plonger dans un bain brûlant, proche de m'ébouillanter, avec un prix Nobel de littérature. Contre les kriss de l'angoisse je brandissais un bouclier de papier.
        C'était vain. Quoi que je fisse, la tombée de la nuit me sautait à la gorge comme un carnassier. Entre chien et loup, je sentais toujours les mêmes crocs dans ma chair.
        Plus tard, je commençai à boire. Avec mon Nobel je m'envoyais un grand cognac sans âge. Ainsi chauffé du dehors comme du dedans, je ramollissais ma carcasse et passais, tant bien que mal, le seuil fatidique de la nuit.
        Une fois entré, je m'y sentais si bien que je voulais qu'elle n'eût pas de fin. Je me perdais dans des fêtes éblouissantes. Mais l'aube finissait toujours par arriver et, de toute sa beauté, elle me signifiait avec limpidité que j'avais encore brûlé mon temps en vain et que les vapeurs de l'ivresse ne comblent pas la vacuité d'une vie.
        C'est quand je suis mort que ça a commencé à aller mieux.