mercredi 18 mars 2020

Jour 1


Hier soir à la télé, le Président a dit on est en guerre. Ça veut dire tu vas pas au travail et tu fais de la visio en essayant de couvrir les cris des enfants. Sur mon ordi, je découvre les trésors que Microdoux m’a préparés et je me dis c’est quand même bien utile ces multinationales assoiffées de flouze.
Je fais des constats aussi. Je constate que je travaille mieux avec des chaussures aux pieds. En chaussons, je suis mou. Comme une contagion du contenant vers le contenu et de l’extrémité vers tout le reste. Demain je mets un bonnet, pour voir.
Je constate aussi que ça va être difficile de ne pas s’égorger avec les dents. Je suis avec ma femme et mes enfants et l’adolescence est une ornière dont on ne voit pas le bout quand on y est encalminé. Peut-être que si on patauge assez longtemps on finit par y prendre gout, comme la marmite anglaise, en mode plaisir pervers.

La visio est une fenêtre sur le monde extérieur. Famille je ne te hais point mais j’irai bien blaguer avec les copains ou nager mille mètres pour me détendre.
Internet rame car toute l’Europe est dessus. Cri-crises des millenials pendant le créneau d’écran quotidien.

Ça va être long. On nous annonce quinze jours mais je n’y crois pas une seconde, plutôt quatre ou six semaines. Quand on va sortir, les martinets seront arrivés, peut-être même repartis. On aura tous le teint blafard et des petits yeux de poissons des cavernes. Zombies translucides. Quant aux Parisiens, je n’imagine même pas. Déjà qu’on n’est pas aimable quand on vit à Paris en temps normal… ou peut-être que ça va les transfigurer et qu’ils seront gentils comme des Chtis, on ne sait jamais.

J’ai commencé ma flopée de confiture d’oranges de l’année. Je mets du virus en pots. Avec de la chance le cirque recommencera quand je les ouvrirai dans un an. Si je me débrouille bien, je peux flinguer les élections régionales.

Pour une fois, j’ai pas vraiment peur. J’arrive à duper mon hippocampe à coups d’arguments épidémiologiques : trois mille morts en Chine sur un milliard trois cents millions d’habitants, ça fait pas bézef. Si on avait réagi aussi vite en France, on s’en sortirait avec cent cinquante morts. Mais on est déjà au-delà et ça commence à peine. Après, le gouvernement chinois ment à merveille, c’est sa spécialité. Bref, arguments, contre-arguments, tout ça pour dire que je n’ai pas très peur. Sauf pour mes parents.



Ici, c’est le journal du non-voyage. On est enfermés comme dans un submersible mais il ne bouge pas. On ne peut même pas voyager jusqu’au square d’en face. Journal de bord d’un sous-marin soviétique coulé en mer de Barents, parmi plein d’autres sous-marins.

1 commentaire: