dimanche 9 février 2014

L'anorexie mentale

Noémie est un génie. Silencieusement, dans un recoin de sa chambrette, elle a posé à sa façon les axiomes d'Euclide et en a redémontré les vingt premières branches annexes. Pendant ce temps, son père dégoise au Rotary avec d'autres importants capitaines d'industrie et sa mère mitonne des sautés de veau.
        Ce matin, Noémie est particulièrement fière, étant venu à bout d'un problème délicat. Sa feuille à la main, elle va voir sa maman à la cuisine et annonce son résultat l’œil brillant. Sa mère lève les yeux aux ciel et rétorque qu'elle ferait mieux d'apprendre le sauté de veau. « Ces choses-là sont pour les savants, sermonne-t-elle, ton père te l'a déjà dit ».
        Noémie est meurtrie : encore une fois, sa maman se fiche de sa belle démonstration. Alors, désespérément assoiffée d'amour, la fillette décide de se conformer à ce qu'on attend d'elle.
        Grâce à quoi, huit ans plus tard, elle épouse un jeune héritier, qui l'engrosse six fois et la trompe autant. Elle prend elle-même un amant, Léonard Persil, naturaliste au Muséum, mais peine à comprendre ce qu'il lui raconte. Elle fait par ailleurs une épouse terne et une cuisinière médiocre, tandis que le XIXe siècle perd sa plus grande mathématicienne, comète jumelle d'Évariste Gallois, éclipsée par de vieilles lunes.

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