dimanche 3 mai 2015

John-John s'ennuie

La journée a été interminable. John-John est en convalescence. Il attend que son orteil repousse mais que c'est long.
Les troupeaux sont partis au loin. La ville est à deux heures de cheval et Rosie ne vient plus, elle a peur des coyotes. Les femmes.
John-John essaie de tuer le temps. Il veut compter les nuages mais il n'y a pas de nuages dans le désert. Il veut compter les serpents ; les serpents se cachent et de toute façon John-John ne sait compter que jusqu'à six. C'est suffisant pour charger son colt, mais quand il y a trop de choses, six ne suffit plus, et il faut recommencer plusieurs fois. Au bout de deux ou trois fois six, John-John s'y perd. De toute façon, il a un cheval, un chapeau, un colt, deux bottes. Ce qu'il y a après six ne lui sert à rien.
En pensant à ça, il a bien passé plusieurs minutes, peut-être pas six mais quand même. Il essaie de continuer à penser à six mais il n'a plus d'idées.Il est midi. Le chien se lève. Il quitte l'ombre du cactus et vient se mettre à l'ombre de la maison. Elle est toute fine mais le chien s'allonge tout fin comme un chien fin et arrive à se faire tenir dedans. John-John se demande s'il arriverait à se faire aussi fin. Mais les chiens sont plus fins que les hommes. Rosie dit ça souvent. John-John n'est pas très d'accord : l'année dernière quand il a trouvé le fourgon abandonné en revenant du Nord, les passagers étaient très fins. Enfin, plats. Ils attendaient depuis longtemps. En enlevant les flèches et en les roulant soigneusement, on aurait pu les faire aussi fins que le chien.
Encore quelques minutes de passées, peut-être même plus de six cette fois. Mais pas six heures, six heures c'est l'heure où le soleil commence à faire semblant qu'il va devenir sympa, alors que le lendemain il est toujours aussi mauvais.
John-John se dit qu'il pourrait essayer de compter après six pour s'occuper. Il cherche des trucs qui sont à six et un. Il trouve un cactus avec six et une branches. Il est tout content, il compte tout haut : un, deux, trois, quatre, cinq, six, six et un. Il se dit qu'au fond il n'a même pas besoin de cactus et dit : six et deux.
Il voit tout de suite le problème. Ça va l'emmener à six et cinq, six et six, et après ? Six et six et six et six ? Ça ne marchera pas.
John-John a perdu son orteil mais pas son esprit. Pour éviter de dire « et » tout le temps, il décide de donner un nom à six et un. Il l'appelle cactus. Six et deux, il l'appelle collines. Six et trois, il l'appelle orteils. Six et quatre, il l'appelle doigts. Six et cinq, vautours. Six et six, serpents. Six et cactus, brins. Six et collines, rochers. Etc.
Ça demande un gros effort de mémoire mais John-John se souvient bien des mots parlés. Dès qu'il a trouvé doigts mots nouveaux, il se récite de nouveau sa liste.
Quand Rosie vient le voir quelques jours plus tard, elle le trouve dans le rocking chair devant la maison, les yeux fermés. Elle est inquiète, elle se penche sur lui. Il ne réagit pas, elle pose sa main sur son épaule. Il tressaille et marmotte une histoire de poussière et d'étoiles.


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