samedi 20 septembre 2014

L'alexie

A l'aube de la cinquantaine, Alexis est frappé par un AVC. Par bonheur, cela se passe en bas de chez lui, juste en face du CHU. Les secours sont donc sur place en quelques minutes et Alexis est emmené aux urgences.
Après les examens d'usage et la prescription d'une forte dose d'aspirine, les médecins vont voir son épouse et lui font part d'un certain optimisme : ils lui annoncent que le cerveau est resté très peu de temps sans alimentation et que le risque de séquelles est minime.
        C'est donc une très désagréable surprise pour Alexis quand, après trois jours de repos, il se sent la force d'ouvrir un livre : les lettres ne s'assemblent plus.
Branle-bas, il sonne l'infirmière, qui appelle l'interne, qui appelle le chef de service. On fait des examens complémentaires. Le diagnostic est sans appel : alexie. Il ne lira plus. En revanche, il peut toujours écrire.
C'est ennuyeux car Alexis est professeur de lettres. Il pressent des difficultés économiques.
Cependant, quelque chose dit à Alexis que c'était inéluctable. Et comme c'est un homme plein de ressources, bien vite, changeant de pied, il tire parti de cette difficulté pour tourner une grande page dans sa vie : jusqu'ici, il a lu. Désormais, il écrira.
Que des premiers jets, bien sûr, puisqu'il ne peut pas se relire. Ça le contraint à bien polir ses formulations mentalement avant de les mettre sur le papier.
En parallèle, il se lance dans l'exercice oral de la littérature, déclamant en public avec une verve réjouissante tous les poèmes dont il s'est gavé au cours de sa carrière.
Désormais, comme un canard du Sud-Ouest qui distribuerait son foie à droite à gauche, Alexis inonde le monde de ses écrits et de ses performances. Ce faisant, il crée le courant littéraire spontanéiste, qui tranche joyeusement avec la prose laborieuse des partisans du traitement de texte.  


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