jeudi 17 avril 2014

Le syndrome du membre fantôme

Le portable d'Ernest est cassé. Il contemple avec désarroi son écran désormais inexpressif. Ernest ne se considère pas comme un guic, ni comme un résoxico. Pourtant, à intervalles réguliers il tapote la poche de son manteau, pour s'assurer qu'il a bien son portable, alors il se souvient qu'il n'est plus là.
        Plusieurs fois par jour, dans les moments creux, Ernest a envie de faire un petit jeu. Aligner des bonbons par exemple, ça c'est rigolo, ou bien lancer des oiseaux fâchés. Il tapote sa poche mais ah oui c'est vrai.
        Il se dit que c'est une opportunité, finalement, ça lui permet de voir où il en est avec ces machines. Il se dit que sa vieille savonnette qui fait juste téléphone et calculatrice est bien suffisante. Il aspire même au dépouillement, par instants.
        Mais la première chose qu'il fait en rentrant le soir est de brancher son appareil. La savonnette consomme dix fois moins de batterie que l'autre mais c'est comme ça, c'est le rituel.
        Il se rend compte aussi qu'il a mal au pouce à faire ses textos à l'antique. A force de se vautrer dans le confort, ses muscles se sont atrophiés. C'est comme ça que Rome est tombée, songe-t-il en s'endormant.
        En partant au boulot le lendemain, il passe sur le pont et veut prendre une photo mais non. Puis il a une idée et veut la noter mais non. Il a un besoin impérieux de connaître la météo en Ukraine mais non. Il veut regarder son agenda mais non. Il veut relire Une charogne de Baudelaire mais non. Il finit la journée piteusement en appelant sa femme à la maison, pour qu'elle lui trouve sur internet le magasin qu'il cherche. GPS mais non.
        Ces démangeaisons sont insupportables.


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