Le lendemain, c'est dimanche. Erminio se
lève très tard. Il dort mal avec son épaule démise. Il s'envoie
un grand café au lait, avec deux biscuits au citron, puis un petit
café noir. Il se rase.
Il est quatorze heures. Il voudrait bien aller au cinéma. D'habitude il y va avec Concetta mais il a envie de faire une pause après la journée d'hier. Et Concetta veut sûrement rester chez elle à cause de son pied. Il pourrait appeler quelqu'un d'autre mais il ne voit pas trop qui. Finalement il se décide à y aller seul, d'autant qu'il veut aller voir Méduse, un film qui a l'air bizarre. Tout le monde lui a dit qu'il ne se passait rien. Justement Erminio se sent mou et a envie qu'il ne se passe rien.
Une fois installé dans son fauteuil, il se met en mode cinéma. Il décolle complètement, tout de suite, et c'est comme si le film devenait la seule réalité et que la vraie vie était fictive. Erminio n'est rattaché au réel que par un fil de mozzarelle.
Effectivement, le film est très lent, avec peu de dialogues. On accompagne un homme, belge, ophtalmologue, qui passe des vacances en Toscane avec sa famille. Sa femme a monté tout le programme et lui suit en traînant un peu la patte.
A un moment, il se trouve au musée des Offices à Florence, devant Méduse, du Caravage. Il est subjugué par ce tableau. Il l'a toujours aimé mais c'est la première fois qu'il le voit de ses yeux. Il commence par observer les vraies couleurs, lire le carton, analyser la composition, puis, petit à petit, il entre dans le tableau. Il trouve dans ces yeux exorbités, dans ce fourmillement de serpents, quelque chose d'une révélation, comme une irruption de paganisme dans sa vie réglée. Il a l'impression de faire face à une puissance ancienne, qui sortirait de la toile et le saisirait comme un hochet. Il se sent fixé au sol, le regard pris dans celui du monstre.
Peu à peu, il est pris d'un doute. Il croit reconnaître les traits du visage mais qui ? Une ancienne amoureuse, une passante croisée dans la rue, une aïeule, une vision ? Il se noie dans un passé dont il ne sait pas s'il est le sien, ni même s'il a existé.
Il reste immobile longtemps. A tel point que les autres visiteurs commencent à le remarquer. L'homme perçoit leur gêne, et sort de sa contemplation. Il veut repartir pour continuer sa visite, retrouver sa femme et ses enfants. Mais ses jambes ne répondent pas. Ni rien d'autre d'ailleurs. Son corps est vissé sur place. Méduse le regarde désormais l'air triomphant.
Jusqu'à ce qu'un enfant énervé déchire la salle de son cri. Il reconnaît son fils. Il tressaille, frissonne et part à grandes enjambées sans regarder de nouveau la toile. Sa femme lui demande ce qu'il faisait, il dit rien.
Les lumières se rallument. Erminio atterrit dans son fauteuil. A son tour il pense, parfaitement immobile. Il se demande s'il va arriver à bouger. Il teste un petit doigt. Ça marche. Ici, pas de Méduse. Dommage, d'une certaine façon.
Il se lève lentement et rentre chez lui. Il veut se raser de nouveau avant la passeggiata.
Balise fournie par Brice : un ophtalmo en vacances s'arrête devant "Méduse", du Caravage au Musée des Offices à Florence
Il est quatorze heures. Il voudrait bien aller au cinéma. D'habitude il y va avec Concetta mais il a envie de faire une pause après la journée d'hier. Et Concetta veut sûrement rester chez elle à cause de son pied. Il pourrait appeler quelqu'un d'autre mais il ne voit pas trop qui. Finalement il se décide à y aller seul, d'autant qu'il veut aller voir Méduse, un film qui a l'air bizarre. Tout le monde lui a dit qu'il ne se passait rien. Justement Erminio se sent mou et a envie qu'il ne se passe rien.
Une fois installé dans son fauteuil, il se met en mode cinéma. Il décolle complètement, tout de suite, et c'est comme si le film devenait la seule réalité et que la vraie vie était fictive. Erminio n'est rattaché au réel que par un fil de mozzarelle.
Effectivement, le film est très lent, avec peu de dialogues. On accompagne un homme, belge, ophtalmologue, qui passe des vacances en Toscane avec sa famille. Sa femme a monté tout le programme et lui suit en traînant un peu la patte.
A un moment, il se trouve au musée des Offices à Florence, devant Méduse, du Caravage. Il est subjugué par ce tableau. Il l'a toujours aimé mais c'est la première fois qu'il le voit de ses yeux. Il commence par observer les vraies couleurs, lire le carton, analyser la composition, puis, petit à petit, il entre dans le tableau. Il trouve dans ces yeux exorbités, dans ce fourmillement de serpents, quelque chose d'une révélation, comme une irruption de paganisme dans sa vie réglée. Il a l'impression de faire face à une puissance ancienne, qui sortirait de la toile et le saisirait comme un hochet. Il se sent fixé au sol, le regard pris dans celui du monstre.
Peu à peu, il est pris d'un doute. Il croit reconnaître les traits du visage mais qui ? Une ancienne amoureuse, une passante croisée dans la rue, une aïeule, une vision ? Il se noie dans un passé dont il ne sait pas s'il est le sien, ni même s'il a existé.
Il reste immobile longtemps. A tel point que les autres visiteurs commencent à le remarquer. L'homme perçoit leur gêne, et sort de sa contemplation. Il veut repartir pour continuer sa visite, retrouver sa femme et ses enfants. Mais ses jambes ne répondent pas. Ni rien d'autre d'ailleurs. Son corps est vissé sur place. Méduse le regarde désormais l'air triomphant.
Jusqu'à ce qu'un enfant énervé déchire la salle de son cri. Il reconnaît son fils. Il tressaille, frissonne et part à grandes enjambées sans regarder de nouveau la toile. Sa femme lui demande ce qu'il faisait, il dit rien.
Les lumières se rallument. Erminio atterrit dans son fauteuil. A son tour il pense, parfaitement immobile. Il se demande s'il va arriver à bouger. Il teste un petit doigt. Ça marche. Ici, pas de Méduse. Dommage, d'une certaine façon.
Il se lève lentement et rentre chez lui. Il veut se raser de nouveau avant la passeggiata.
Balise fournie par Brice : un ophtalmo en vacances s'arrête devant "Méduse", du Caravage au Musée des Offices à Florence
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