Erminio se penche, enlève sa chaussure,
la secoue. Giovanni, perplexe, lui demande ce qu'il a.
– J'ai
un caillou dans ma chaussure, répond Erminio.
– Ça
ne serait pas ton histoire avec Donatella, ce caillou ?
– Non,
c'est plutôt un menhir sur le pied, mon histoire avec Donatella.
Les autres rigolent. Giovanni enchaîne :
– Et
pour vous, ça serait quoi un caillou dans la chaussure ?
– C'est
comme une baleine de soutien-gorge, répond Concetta.
– Vu
d'ici, je vois plutôt deux baleines, rétorque Giovanni en zyeutant
son décolleté.
– On
ne te parle pas de ces baleines-là ! repart Paola. On te parle
des baleines qui sortent de leur couture et qui te transpercent les
seins.
– Ah !
C'est la tragédie classique ! Ariane, au comble du désespoir,
saisit une dague et perce son sein d'albâtre, déclame
Giovanni.
– Voilà,
et comme tu t'en doutes, une dague dans le sein, c'est pénible.
– Ce
que vous êtes terre-à-terre, les filles ! Pour moi, ça serait
plutôt quand je dois faire un truc difficile, et que je le repousse
sans cesse. Par exemple, quand j'ai dit aux parents que je rentre
pour le week-end mais que je dois leur annoncer que finalement je
n'irai
pas. Pendant un moment j'ai la flemme d'enlever ma chaussure pour
ôter le caillou mais il me dit sans cesse je suis là, je suis là,
de sa petite voix criarde,
si bien que je ne pense plus qu'à lui et que je finis par m'en
débarrasser.
– Voilà
maintenant que ce sont les gars qui se font du
souci
pour des problèmes relationnels, commente Concetta.
– Vous
n'avez pas le monopole du cœur, rétorque Giovanni. Nous, les
hommes, nous
sommes
des êtres sensibles, sous notre poil dur et notre odeur forte.
– Moi,
mon caillou dans la chaussure, c'est de me raser, intervient Erminio.
Ça revient constamment, et j'ai toujours l'impression de ne pas être
net.
– Comment !
Concetta se marre franchement. Mais quelle minette ! Tu as peur
de ne pas être parfait, c'est ça ?
– Oui.
– C'est le monde à l'envers, les mecs on
vous a changés !
– Oui,
on nous demande d'être virils et soignés à la fois, ça devient
ingérable, cette culture post-moderne,
dit Erminio. C'était plus simple quand on allait à la chasse et que
vous gardiez les enfants.
– Je
ne réponds même pas, répond Concetta.
– Moi,
mon caillou dans la chaussure, intervient Paola, c'est quand je n'ai
pas travaillé mon piano. J'en fais tous les jours et, tant que je
n'en ai pas fait, j'y pense.
– C'est
pour ça que tu nous casses les oreilles tous les matins avec tes
gammes ? demande Concetta.
– Oui.
– Tu
parles d'un plaisir !
– Le
caillou dans la chaussure, c'est le devoir, interprète Giovanni. Le
devoir agit sur notre esprit comme un termite dans une poutre. Il
nous ronge jusqu'à ce qu'on s'occupe de lui.
– Voilà,
il faut tuer le devoir ! repart Concetta. La liberté pour
tout et pour tous !
– Vous
êtes une bande d'anarchistes, s'indigne calmement Erminio. En
plus
vous êtes incohérents : que faites-vous de la liberté des
cailloux d'aller se fourrer dans vos chaussures ?
Balise fournie par Laurence : un caillou dans la chaussure
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