Michele, mortifié, est venu le
chercher. Il le soutient jusqu'à sa voiture, l'allonge à l'arrière
et le conduit à l'hôpital. Il lui demande sans cesse comment ça va
et lui parle de son chien, qui la nuit dernière s'est mis à
gronder, puis à poursuivre un fantôme dans toute la maison, a
réveillé tout le quartier en hurlant à la fenêtre, et a fini par
se jeter à la poursuite d'un pigeon. Erminio répond d'une voix
faible.
Ils arrivent aux urgences. Un jeune gars
et une fille en blouse blanche sont assis sur un brancard dans le
couloir. Le type la serre de très près. Elle est blonde et bien en
chair. Manifestement son urgence à lui n'est pas d'ordre médical.
La fille se décale un peu quand il la serre trop.
Voyant Erminio arriver avec Michele, il
se décolle à regret, lui disant qu'il revient tout de suite.
De mauvaise humeur, il fait
l'interrogatoire de routine. Erminio, encore faible, peine à
répondre et Michele l'interrompt constamment en disant c'est comme
mon chien. Au début, le toubib l'écoute, intéressé par le
parallèle, mais comme Michele déblatère, le toubib finit par en
avoir marre et lui dit qu'Erminio n'est pas un chien, que les chiens
vont voir des vétérinaires et qu'il n'y a pas de psychiatres pour
les chiens suicidaires. Michele se tait, contrit.
Le toubib achève l'interrogatoire. Il
envoie Erminio en gastro-entérologie. Là, on prend soin de lui, on
le palpe, on lui tire son sang, on le vide par la soute arrière,
puis on le met sur un fauteuil roulant et on l'emmène en
psychiatrie.
Il repasse par le hall et revoit
l'interne qui l'a accueilli. Il est toujours sur le brancard avec la
fille blonde et a repris son manège. Elle continue de se décaler,
si bien que le brancard finit par basculer et ils se gaufrent tous
les deux. Le type est honteux, la fille rigole.
Erminio a un faible sourire et poursuit
son chemin.
Arrivé en psychiatrie, il attend. Il
est tôt encore et le médecin tarde. Il regarde par la fenêtre.
Dehors devant les portes vitrées, une infirmière fume sa cigarette.
La bouche d'aération qui monte du sous-sol soulève sa blouse, elle
est obligée de la retenir.
Arrive enfin le psychiatre. C'est un
gros homme. Il ouvre brusquement la porte en disant suivez-moi. Il
fait le tour du bureau, indiquant une chaise à Erminio, s'assied
lourdement face à lui et l'apostrophe :
– C'est
vous, le souvenir de ma grand-mère !
Erminio reconnaît le gros type seul de
la pizzeria, qui avait pris la quinconce. Le psychiatre reprend :
– J'ai
adoré votre histoire, elle m'a fait beaucoup de bien. Vous savez,
nous
les
psychiatres on
aime bien les
souvenirs.
Erminio marmonne un remerciement.
– Mais
on n'est pas là pour parler de mes histoires, s'exclame-t-il.
Qu'est-ce qui vous amène ?
Erminio raconte sa nuit. Le toubib
l'écoute, attentif. Puis il se lève brusquement, prend sa chaise,
monte dessus, et va dénicher un petit objet sur une étagère en
hauteur. En redescendant, il demande à Erminio :
– Ça
vous dérange si je fume ? J'essaie d'arrêter, mais c'est
impossible.
En même temps, avec la clé qu'il vient
de récupérer, il ouvre le tiroir du bureau et sort un paquet de
cigarettes. Il en propose une à Erminio, qui refuse, et il allume la
sienne tout en ouvrant la fenêtre.
– Bon,
on ne va pas épiloguer. Hallucinations auditives, visuelles, maux de
ventre. Il n'était pas un peu pourri, votre chorizo ?
Erminio acquiesce.
– Il
y en a qui prennent des champignons hallucinogènes, vous c'est du
chorizo. Vous avez fait un mauvais trip, voilà tout. Je vous
prescris un somnifère pour la nuit qui vient et demain vous serez
sur pied.
Erminio se sent soulagé. Le psychiatre
reprend, l'air finaud :
– Bon,
moi
je suis psychiatre, hein, pas psychologue, mais vous avez songé un
peu au sens que peut avoir cette vision ?
Balise fournie par Catherine : Sept ans de réflexion