Hier soir à la télé, le
Président a dit on est en guerre. Ça veut dire tu vas pas au travail et tu fais
de la visio en essayant de couvrir les cris des enfants. Sur mon ordi, je découvre
les trésors que Microdoux m’a préparés et je me dis c’est quand même bien utile
ces multinationales assoiffées de flouze.
Je fais des constats aussi. Je constate
que je travaille mieux avec des chaussures aux pieds. En chaussons, je suis
mou. Comme une contagion du contenant vers le contenu et de l’extrémité vers
tout le reste. Demain je mets un bonnet, pour voir.
Je constate aussi que ça va être
difficile de ne pas s’égorger avec les dents. Je suis avec ma femme et mes
enfants et l’adolescence est une ornière dont on ne voit pas le bout quand on y est
encalminé. Peut-être que si on patauge assez longtemps on finit par y prendre
gout, comme la marmite anglaise, en mode plaisir pervers.
La visio est une fenêtre sur le monde
extérieur. Famille je ne te hais point mais j’irai bien blaguer avec les
copains ou nager mille mètres pour me détendre.
Internet rame car toute l’Europe est
dessus. Cri-crises des millenials pendant le créneau d’écran quotidien.
Ça va être long. On nous annonce quinze
jours mais je n’y crois pas une seconde, plutôt quatre ou six semaines. Quand
on va sortir, les martinets seront arrivés, peut-être même repartis. On aura
tous le teint blafard et des petits yeux de poissons des cavernes. Zombies
translucides. Quant aux Parisiens, je n’imagine même pas. Déjà qu’on n’est pas
aimable quand on vit à Paris en temps normal… ou peut-être que ça va les
transfigurer et qu’ils seront gentils comme des Chtis, on ne sait jamais.
J’ai commencé ma flopée de confiture
d’oranges de l’année. Je mets du virus en pots. Avec de la chance le cirque
recommencera quand je les ouvrirai dans un an. Si je me débrouille bien, je peux
flinguer les élections régionales.
Pour une fois, j’ai pas vraiment peur.
J’arrive à duper mon hippocampe à coups d’arguments épidémiologiques :
trois mille morts en Chine sur un milliard trois cents millions d’habitants, ça
fait pas bézef. Si on avait réagi aussi vite en France, on s’en sortirait avec
cent cinquante morts. Mais on est déjà au-delà et ça commence à peine. Après,
le gouvernement chinois ment à merveille, c’est sa spécialité. Bref, arguments,
contre-arguments, tout ça pour dire que je n’ai pas très peur. Sauf pour mes
parents.
Ici, c’est le journal du non-voyage. On
est enfermés comme dans un submersible mais il ne bouge pas. On ne peut même
pas voyager jusqu’au square d’en face. Journal de bord d’un sous-marin
soviétique coulé en mer de Barents, parmi plein d’autres sous-marins.
Allo allo ici prison dorée 0000 je vous lis bien.....a vous!
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