Je ne regarde jamais les infos à la
télé mais hier si. Je suis pas venu pour rien, je repars avec la rétine
brulée d’images-choc : un curé italien bénit à la chaine des dizaines de
cercueils, un chariot-fourche charge des corps dans un camion-frigo à l’arrière
d’un hôpital new-yorkais, tandis qu’un énorme bateau-hôpital militaire se range
le long des quais.
Ça pète aux Etats-Unis, trois mille
morts, autant qu’en France, alors qu’ils étaient à deux mille il y a trois
jours. La logique de ce truc, c’est : si on ne fait rien, ça explose.
De notre côté, nous on doit
connaitre le nombre de morts en EHPAD cette semaine, et on va prendre une
claque. Ils ne transfèrent plus les gens âgés à l’hôpital : aucune chance
de s’en sortir et un respirateur occupé pendant trois semaines.
La courbe espagnole s’envole, 7700 morts,
bien plus vite que l’Italie, ça n’a pas fini de barder. Dans ces deux pays
catho, les enterrements se font à l’arrache, quelques proches et basta. Mais
quand est-ce qu’on chiale ? Ça va laisser de belles cicatrices à l’âme.
L’Italie attend son pic d’ici une
semaine. C’est long.
Merveille de compassion : le
gouverneur de Floride pourrait refuser deux paquebots de croisière avec des
malades à bord. A sa décharge, le Chili l’a déjà fait. ‘Not my problem’
syndrome.
En même temps, il y a de bonnes nouvelles :
un village italien en Lombardie, au cœur du réacteur, semble immunisé contre le
virus. Des recherches génétiques sont lancées.
En Chine, une IA commence à prévoir
quels patients seront en détresse respiratoire. A côté de ça, les usines
rouvrent, la pollution repart enfin.
L’Irlande a l’air de contenir
l’épidémie. Trop facile quand on est une ile, aucun mérite. Je pense souvent à
Madagascar. Si le virus débarque, aïe.
Pendant que des malades sont
transférés de l’Est vers l’Ouest de la France, les soignants font le chemin
inverse. Chassé-croisé du mois de mars. C’est pas des vacances cette fois, respect.
Il y a un vrai héroïsme : ces gens se mettent en danger pour les autres.
Les profs volontaires aussi, qui
accueillent dans les écoles les enfants des soignants, pompiers, policiers.
Le cours du pétrole est au plus
bas. C’est le moment de faire le plein. Tu n’auras qu’à dire que c’est pour
aller aider dans l’Est.
Les articles sur le télétravail
foisonnent.
Beaucoup de fumeurs essayent
d’arrêter.
Journée nulle, travail mou, pas de
contacts, pas d’échéance, pas d’allant. Brasse coulée dans une piscine de
gélatine. Je fermente dans ma petite pièce, culpabilisant de mal remplir mes heures.
LAISSEZ-MOI SORTIR !!
J’en ai marre.
Quelque chose en moi a besoin d’être
en mouvement. Je pars courir. Ratatat dans les oreilles,
c’est ce qu’il y a de mieux. Je me vois de haut comme un point GPS qui passe
lentement d’une rue à l’autre. Dans mon rayon d’un kilomètre, enfin je me
déplace. L’animal au fond de moi se réjouit de la course, comme un chien qu’on emmène
enfin au parc.
Il n’y a plus que des coureurs dans
la rue. Je soupçonne les autres d’être des androïdes cherchant un contrevenant
à flasher, comme à Nice. Je ne contreviens pas, je reste dans mon cercle et mon
heure.
Au bout des deux tours prévus, je m’en
remets un troisième, pour bien purger le fond de ma marmite fétide. Sur la fin ça
tire dans les pattes. C’est bon signe. La viande est cuite et l’esprit las.
Esprit es-tu las ? Oui, ça va mieux. Me voilà remis en ordre.
"Autoportrait de l’auteur en coureur
de fond". Puisqu’il y a du temps en ce moment, Murakami il parait que c'est bien.
J’aime quand on sort applaudir les soignants
à huit heures. On commence par s’assourdir de notre propre bruit, puis on s’arrête,
on entend les applaudissements du quartier, certains sifflent. C’est pas
fort, parce qu’on n’est pas dans un quartier dense, mais les gens sont là.