Les
premiers allers-retours, c'est facile, il y a l'ivresse du début, je
suis tout frais, je n'ai pas vraiment besoin de respirer. Mais
rapidement je m'approche du rouge, il faut trouver un équilibre,
prendre assez d'air pour alimenter la viande. Le souffle s'installe.
Là,
je commence à trop penser, écarte un peu les doigts, plonge la main
loin devant, garde les jambes tendues, respire dans le ventre,
attention à ton bras gauche. C'est chiant cette gauche. Dans la
ligne Matériel, il y a les gens avec les palmes pour les pieds,
palettes pour les mains, ça, ça accélère, mais il y a aussi les
petites planches qu'on tient pour travailler les jambes, ou le dos
avec les palmes, et ça c'est lent.
Je
me demande ce qui est pire : se faire doubler par un requin
furieux, tête en caoutchouc, qui passera quoi qu'il arrive parce
qu'il fait du triathlon, ou bien stagner dans les bulles d'une paire
de palmes maladroites, qu'il faut doubler.
Le
pire du pire, c'est quelqu'un qui va juste un peu moins vite. Rester
derrière, c'est casser le rythme, se brider, en sachant qu'il n'y a
pas de raison que ça s'arrête. J'en ai vite marre et je double,
mais doubler, c'est se mettre en danger entre les deux files, ça
prend une demi-longueur, il faut tordre le cou pour regarder devant,
sinon on peut assommer quelqu'un d'un coup d'aile trop loin du corps.
L'aile gauche. Dans la ligne d'eau, on nage à droite comme sur la
route.
Les
bons nageurs sont fantastiques. Ils me passent à une vitesse
incompréhensible : comment peuvent-ils aller autant plus vite
que moi ? Pourtant je viens toutes les semaines. Sans doute
parce que je ne fais pas de triathlon. Ils sont puissants, ils
traitent l'eau comme un obstacle, ils la frappent, ils la dégagent.
Ils passent comme des bolides.
Le
mieux, c'est les bonnes nageuses. Elles sont belles. Pas
physiquement, enfin pas spécialement : sous l'eau toutes les
femmes sont des bombes. Au fil des longueurs, j'entrevois des
créatures à maillots olympiques et cuisses lisses. Elles me font
forte impression mais je regarde le fond. Peu importe la plastique,
ce qui importe, c'est le mouvement. Les bonnes nageuses ne frappent
pas l'eau, elles la massent, elles y glissent. Faute de puissance,
elles l'épousent. Absentes, toutes dans leur mouvement, faciles
comme des loutres. La force rend brutal. Le plus beau, c'est les
bonnes nageuses.
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