Dès le lendemain, le service reprend. A
huit heures, Erminio attend Concetta devant la porte de la cuisine,
dans la ruelle. Elle est en retard. Erminio peste, se dit qu'il
aurait dû lui donner rendez-vous trop tôt.
Au bout d'un quart d'heure, elle arrive
lentement. Erminio la houspille :
– Tu es en retard, c'est mon boulot,
ici !
– C'est pas de ma faute, j'ai
terriblement mal au pied, je n'arrive pas à marcher.
– Qu'est-ce qui t'arrive ?
– J'ai un truc qui me fait super mal
sur l'orteil.
– Montre.
Elle s'assied sur le pas de la porte,
enlève sa chaussure et sa chaussette et lui montre son pied.
– C'est un cor. Je reconnais,
Grand-Mère a les mêmes, constate Erminio.
– Tu sais que tu m'es extrêmement
sympathique le matin devant la cuisine ?
– Eh, je n'y peux rien, c'est comme
ça. Enfin ça ne va pas t'empêcher de travailler.
– Espérons que non.
Elle remet sa chaussure, se relève et
ils entrent.
Erminio lui montre la cuisine et lui
explique comment préparer les ingrédients, découper les légumes,
la charcuterie, faire la pâte. En bonne cuisinière, Concetta capte
tout en un clin d’œil.
Elle se met à la découpe, enchaîne
des tombereaux de tomates, de poivrons, d'artichauts frais,
d'aubergines, elle exécute le jambon, la coppa, prépare les
portions d'olives, d'anchois, d'oignons. Erminio a du mal à suivre,
toutes les cinq minutes elle lui demande : et après ? Il
court au frigo, revient, multiplie les allers-retours pour compenser
sa main inutile. Concetta est reine de la cuisine, elle commande des
couteaux, des planches, des ingrédients, les petits piments
accrochés tout là-haut, encore de l'huile. Il n'y en a plus,
Erminio court à l'épicerie racheter un bidon.
Quand il revient, il s'aperçoit qu'elle
n'a pas fait la pâte comme d'habitude. Là il se fâche, il lui dit
que la pâte c'est la marque de fabrique du restaurant, qu'elle ne
peut pas changer les choses comme ça sans rien demander à personne
et que si tu recommences ça tu ne reviendras pas demain. Elle lui
répond sèchement t'avais qu'à être là, s'il n'y a plus d'huile
c'est que tu gères mal tes stocks et si je ne viens pas demain
Michele te met dehors alors ne me pompe pas l'air.
Erminio est ulcéré. Il se sent comme
un gâte-sauce dans sa propre cuisine. Mais il est bien obligé de
ronger son frein : il a besoin d'elle et il faut reconnaître
qu'elle est terriblement efficace.
Cependant, à onze heures trente, alors
que le feu commence à chauffer le four, il tient sa revanche :
Concetta est prise d'une terrible envie de faire pipi. Il refuse de
lui dire où sont les toilettes. Elle commence à se tortiller et lui
ordonne de répondre. Il siffle :
– Je te dis où sont les toilettes si
tu cesses de me donner des ordres sèchement, si tu te comportes en
tous points en cousine douce et compréhensive et que tu arrêtes de
faire comme si cette cuisine était ton empire personnel.
– Erminio,
arrête ! C'est pas drôle !
– Rien
du tout, j'exige ta parole.
– Mais
quelle tête de lard ! Arrête ça, je suis pressée !
Erminio reste inflexible. Concetta
enrage à son tour mais doit bien finir par s'incliner. Alors
seulement Erminio lui dit où sont les toilettes : en bas du
petit escalier qui donne dans le couloir.
Concetta se précipite mais au premier
pas, elle grimace : son pied lui fait terriblement mal. Elle
tend le bras vers Erminio pour s'appuyer sur lui. Lui s'esquive. Elle
lève le visage vers lui et lui dit quoi encore ? Il exige une
allégeance totale et inconditionnelle pour toute la durée de son
séjour à la pizzeria et pour les siècles des siècles, ainsi que,
disons, trente pour cent de ses revenus pendant toute sa vie.
Concetta ouvre la bouche pour lui hurler dessus mais il éclate de
rire et l'emmène vers l'escalier. Elle crie quand même un peu,
surtout quand son pied butte dans le pied de la rampe, qui est
traîtreusement placé. Erminio s'excuse mollement.
Quand Concetta sort des toilettes, toute
urgence assouvie, elle tend vers lui un index vengeur sans un mot.
Lui sourit à belles dents. Elle grommelle qu'il n'est qu'un anchois
mariné pourri, puis ils remontent bras-dessus bras-dessous.
Balise fournie par Magali : le cor au pied
Erminio est une vraie gargouille comme dirait Alice, 5 ans, à son frère, 7 ans...
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