Ben
voilà. Je pose mes fesses dans le train du retour. On est encore
gare Montparnasse, ça démarre dans dix minutes. Je ne suis pas
mort. Je n’ai pas vu de morts. Je n’ai vu personne pleurer.
Je
suis passé devant La Belle équipe, un des bars qui ont été
mitraillés, rue de Charonne. Je n’ai pas fait exprès, c’était
sur mon chemin. J’ai fait des kilomètres à pied dans Paris, pour
profiter de la ville, et parce que ça m’apaise.
Devant
La Belle équipe, il y avait plein de fleurs et de bougies, ça
faisait un grand tapis sur le trottoir. Il y avait une cinquantaine
de personnes qui regardaient. Quelques-unes causaient doucement. Je
n’ai vu personne pleurer, il faut dire que je n’ai pas bien
regardé, j’avais moi-même les larmes aux yeux. J’ai croisé
quelques visages malgré tout, j’ai vu que les gens étaient
touchés, presque recueillis. Pas de démonstration bruyante. Comment
fait-on pour digérer ça quand on n’est pas croyant ? J’ai
continué mon chemin.
Je
suis allé jusqu’au Jardin des plantes, puis les quais vers
Notre-Dame. J’ai obliqué à gauche, vers la montagne
Saint-Geneviève, au sommet de la colline j’ai trouvé la librairie
que je cherchais, je suis redescendu à Saint-Sulpice. En passant
devant le Sénat, je me suis dit que c’était idiot de passer
devant le Sénat. Il ne s’est rien passé, j’ai juste vu quelques
grosses voitures avec un gyrophare sur le toit. Transport de
sénateurs sans doute.
A
Saint-Sulpice, tout était normal. Concert dans l’église, vieilles
dames. On est allés dans un bar à côté avec mes potes. Je n’ai
rien trouvé d’inhabituel, il y avait du monde. Eux m’ont dit que
d’habitude il y a plus de monde. De mon côté, je me faisais des
petites remarques du genre je préférerais m’installer au fond ou
bon endroit pour une fusillade. Mais pas de fusillade. J’ai mangé
une andouillette et bu deux pintes de brune. On a rigolé avec les
copains en disant que c’était de la provocation. On a aussi fumé
des clopes.
Pas
de marque visible des attentats dans Paris. La présence policière
n’est pas exceptionnelle. Seul signe frappant : seulement
quatre personnes devant la fontaine Saint-Michel samedi soir. Jamais
vu ça. Ça reviendra, sans doute.
Maintenant
la lune se lève, après une belle journée. Ma petite parano me
souffle qu’après ce trajet en train, quand je serai sorti de la
gare, je serai hors de danger. Mais après deux jours dans Paris, je
n’y crois plus : Panthéon, Saint-Michel, le métro, les
gares, et rien.
Jusqu’ici
tout va bien. On attend le coup suivant, en espérant qu’il ne
tombe pas sur nous.
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