Qu’est-ce qui va
se passer maintenant ? Je vais passer mon week-end à Paris
comme prévu, je vais marcher dans les rues avec ma sœur, j’irai
probablement à République voir les bougies et les papiers
détrempés. J’ai envie de voir ça, je ne sais pas bien pourquoi.
Je n’ai pas été à République depuis des années. Je me souviens
du 1er mai 2002, Le Pen au second tour de la
présidentielle. Pour la manif, j’avais fait un petit panneau
Liberté Egalité Fraternité. Dans ces moments-là, c’est
le seul symbole national auquel j’adhère vraiment. Je n’ai rien
contre le drapeau bleu blanc rouge, je ne le trouve pas très beau,
c’est tout. Par contre je ne chante pas la Marseillaise, c’est un
chant de haine. Je ne l’ai pas chantée cette fois-ci non plus.
Le 1er
mai 2002, on était venu contre la haine, déjà. La haine, toujours.
L’humain la porte en lui. Ça doit faire partie de la panoplie de
l’évolution, quelque chose en lien avec le groupe. Peut-être que
notre survie est liée au groupe, donc si on l’aime ça augmente
nos chances de survie. La haine des autres serait alors un effet
collatéral de notre amour du groupe. Une sorte de dérapage, un
mauvais dosage, un négatif.
Jusqu’ici tout va
bien. Le train roule, personne n’a tiré, pas de bombe atomique, ni
d’attaque de fourmis géantes carnivores. Mon imagination anxieuse
s’éclate dans cette période post-attentats.
J’essaie de
réfléchir malgré tout. J’ai mis ce matin sur internet un texte
où j’essaie de comprendre certains ressorts des attentats. Comment
on en vient à massacrer des gens, en se tuant soi-même aussi ?
Je m’étais déjà posé cette question après le 11 septembre. Je
tombe sur une réponse simple : du désespoir et de mauvaises
rencontres. Les solutions par contre sont compliquées : il faut
changer de société. Donner du sens à la vie en sortant de la
consommation, renouer les liens sociaux, redonner de l’espoir et de
la chaleur humaine, pour que chacun ait l’impression d’appartenir
à un groupe.
On pourra m’accuser
de dire que les attentats c’est la faute au capitalisme. En quelque
sorte, oui. L’égoïsme, l’isolement généralisé, le sentiment
de cul-de-sac. On pourra m’accuser de faire de l’angélisme, de
tout mélanger. Mais tout est déjà mélangé. Et profondément je
ne crois pas qu’on naisse monstre.
Le jour a l’air de
vouloir se lever. J’ai toujours été surpris de voir que, lors des
grandes catastrophes, la Terre continue de tourner. Quand mon cousin
est mort dans un accident de voiture, j’étais stupéfait de voir
les bus circuler normalement dans Paris. Et à l’heure où tous ces
gens mouraient la semaine dernière, on prenait l’apéro chez nos
voisins. On n’a rien senti.
Là je me dis que ce
genre de choses arrive quotidiennement en Syrie, en Irak, au Yémen.
On ne sent jamais rien mais on ne s’en étonne pas d’habitude.
Parce qu’on n’est pas touché, au fond. D’un coup ces horreurs
arrivent en bas de chez nous et elles deviennent horribles. Pourquoi
pleurer aujourd’hui, alors que je ne connaissais aucune victime, et
pas à l’heure de chaque violence, de chaque massacre, jour et
nuit ? On ne peut pas vivre en pensant constamment à la douleur
du monde. Ça ne fait pas de nous des monstres mais ça ne nous
dédouane pas. On devrait s’en préoccuper. Cela dit, honnêtement,
j’en ai marre de me préoccuper tout seul. Je donne de l’argent
aux associations, oui mais il reste tant de merde à pelleter. Je
finis par devenir un râleur. Est-ce que râler ce n’est pas un
constat d’échec, le bruit de l’impuissance à arrêter la
souffrance ?
Il pleut. Ça fait
une semaine qu’il pleut. Non non, le ciel se fout bien de nos
malheurs, c’est juste une perturbation atmosphérique. Le ciel
c’est une vue panoramique sur le vide. C’est pas facile de rester
rationnel en ce moment.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire