La
journée a été interminable. John-John est en convalescence. Il
attend que son orteil
repousse mais que c'est long.
Les
troupeaux sont partis au loin. La ville est à deux heures de cheval
et Rosie ne vient plus, elle a peur des coyotes. Les femmes.
John-John
essaie de tuer le temps. Il veut compter les nuages mais il n'y a pas
de nuages dans le désert. Il veut compter les serpents ; les
serpents se cachent et de toute façon John-John ne sait compter que
jusqu'à six. C'est suffisant pour charger son colt, mais quand il y
a trop de choses, six ne suffit plus, et il faut recommencer
plusieurs fois. Au bout de deux ou trois fois six, John-John s'y
perd. De toute façon, il a un cheval, un chapeau, un colt, deux
bottes. Ce qu'il y a après six ne lui sert à rien.
En
pensant à ça, il a bien passé plusieurs minutes, peut-être pas
six mais quand même. Il essaie de continuer à penser à six mais il
n'a plus d'idées.Il
est midi. Le chien se lève. Il quitte l'ombre du cactus et vient se
mettre à l'ombre de la maison. Elle est toute fine mais le chien
s'allonge tout fin comme un chien fin et arrive à se faire tenir
dedans. John-John se demande s'il arriverait à se faire aussi fin.
Mais les chiens sont plus fins que les hommes. Rosie dit ça souvent.
John-John n'est pas très d'accord : l'année dernière quand il
a trouvé le fourgon abandonné en revenant du Nord, les passagers
étaient très fins. Enfin, plats. Ils attendaient depuis longtemps.
En enlevant les flèches et en les roulant soigneusement, on aurait
pu les faire aussi fins que le chien.
Encore
quelques minutes de passées, peut-être même plus de six cette
fois. Mais pas six heures, six heures c'est l'heure où le soleil
commence à faire semblant qu'il va devenir sympa, alors que le
lendemain il est toujours aussi mauvais.
John-John
se dit qu'il pourrait essayer de compter après six pour s'occuper.
Il cherche des trucs qui sont à six et un. Il trouve un cactus avec
six et une branches. Il est tout content, il compte tout haut :
un, deux, trois, quatre, cinq, six, six et un. Il se dit qu'au fond
il n'a même pas besoin de cactus et dit : six et deux.
Il
voit tout de suite le problème. Ça va l'emmener à six et cinq, six
et six, et après ? Six et six et six et six ? Ça ne
marchera pas.
John-John
a perdu son orteil mais pas son esprit. Pour éviter de dire « et »
tout le temps, il décide de donner un nom à six et un. Il l'appelle
cactus. Six et deux, il l'appelle collines. Six et trois, il
l'appelle orteils. Six et quatre, il l'appelle doigts. Six et cinq,
vautours. Six et six, serpents. Six et cactus, brins. Six et
collines, rochers. Etc.
Ça
demande un gros effort de mémoire mais John-John se souvient bien
des mots parlés. Dès qu'il a trouvé doigts mots nouveaux, il se
récite de nouveau sa liste.
Quand
Rosie vient le voir quelques jours plus tard, elle le trouve dans le
rocking chair devant la maison, les yeux fermés. Elle est inquiète,
elle se penche sur lui. Il ne réagit pas, elle pose sa main sur son
épaule. Il tressaille et marmotte une histoire de poussière et
d'étoiles.
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