« Touche pas par
terre, c’est sale. »
Au contraire,
penchons-nous. Près, plus près du sol, jusqu’à rencontrer la vie
qui grouille à nos pieds. La diversité des microbes est
astronomique. Même les insectes doivent s’avouer vaincus : le
peuple des microbes est innombrable.
Et changeant. Ça mute
pour un oui ou pour un non, ça s’échange des morceaux, ça
s’infecte, se colonise, se tue, se dévore sous toutes les
latitudes, dans toutes les circonstances : nos nombrils abritent
des carnages.
Chaque microbe a sa
bête noire mais aussi ses alliés. L’algue et le champignon
s’imbriquent depuis le fond des temps pour former les lichens,
colonisant sans faiblesse les milieux intolérables. Sans les
bactéries de notre intestin, nous mourons. Les amours de la
moisissure et du lait enfantent le roquefort qui nous transporte.
Alors les microbes nous
tuent parfois, oui, mais c’est bien le moindre de leurs pouvoirs.
lundi 27 janvier 2014
dimanche 19 janvier 2014
C'était inévitable.
C'était inévitable :
l'odeur des amandes amères lui rappelait toujours le destin des
amours satisfaites. Il en concevait une sorte d'amertume aiguë,
composée de douceur et d'âpreté, qui lui mettait le cœur au bord
des lèvres. Non pas que ses amours à lui aient toujours été
malheureuses mais le spectacle des couples épanouis, des maris
attentionnés et des épouses enflammées, lui retournait l'estomac.
Il avait grandi dans une famille radieuse, aux revenus confortables mais pas excessifs, sous les yeux bienveillants de ses parents très liés. Ils le restèrent jusqu'à la mort, disparaissant ensemble dans un accident de montagne, encordés sur un mauvais à-pic.
Lui n'avait pas souffert de cette fin catastrophique. Il était grand déjà et suffisamment désabusé pour que ce malheur glisse sur lui sans dommage. Il était très occupé à séduire et abandonner à tour de bras les jeunes filles de bonne famille, luttant pied à pied contre leur vertu convenue, arrachant la victoire avec les dents et, quand enfin le sang coulait sur les draps, il sautait de leurs lits en fredonnant, ne se donnant pas même la peine de rabattre leurs jupons, les laissant dans des abîmes de honte, déjà parti sur une nouvelle piste, flairant la vulve timide. S'il faut souffrir, disait-il, qu'on souffre mais qu'il se passe quelque chose ! Et il s'y employait ardemment. On aurait dit qu'il cherchait à mourir en duel.
Il remplissait ainsi ses semaines, enchaînant les conquêtes larmoyantes, jusqu'au jour où il rencontra Justine. Elle aurait pu aussi bien échanger son N contre un C, tant elle lui en fit voir. Elle jouait avec lui comme avec un yoyo, le lâchant pour mieux le ramener à sa main, le faisant tournoyer à vomir.
Il souffrait, oui, enfin, il vomissait, de la bile, de la rage, de l'amour contrarié, de l'orgueil crevé aussi, mais enfin il avait l'impression d'être en vie. Ces petits jeux durèrent un long moment, plus d'un an, pendant lesquels il perdit une quinzaine de kilos. Sur la fin, on ne le voyait plus en société, seuls ses amis les plus proches et sa sœur désespérée – séduite secrètement elle aussi – lui rendaient visite. Ils s’alarmaient en chœur de le voir en un état si pitoyable, valises sous les yeux, chemise et mine fripées.
A la fin, Justine, constatant qu'elle avait bien sucé toute la moelle de ce jeune coq, lui signifia qu'il n'avait plus sa place dans sa vie et commença des aventures saphiques. Lui, roué de coups par la puissante cuisinière de l'ensorceleuse, fut trouvé à demi-mort devant le porche. Il resta alité trois mois, avant de se hacher les veines avec une fourchette, aussitôt qu'il eut retrouvé suffisamment de forces.
Bernardine, sa sœur, en fut dévastée. Elle l'aimait encore d'un amour dévorant, qu'elle masquait derrière une affection fraternelle, et fut transpercée de le voir périr ainsi.
Elle jura la fin de Justine. Elle fit tant et si bien qu'elle parvint à son tour à se glisser dans son lit. Le yoyo changea de main et Justine se tordit dans des tourments atroces.
Jocaste la cuisinière, amante éconduite de mademoiselle, ivre de haine, finit par saisir son grand couteau à légumes et tomba sur Bernardine sans crier gare, un petit matin où elle filait à l'anglaise en laissant Justine brisée. Mais Bernardine avait senti le coup venir et elle déchargea sur elle à brûle-pourpoint un petit revolver qu'elle portait sous sa gabardine. Jocaste s'écroula et clameça dans une large flaque de sang.
Bernardine, sur sa lancée, remonta et planta un autre pruneau dans la calebasse de Justine. Elle était lassée de ces jeux destructeurs.
Échappant aux gendarmes, elle s'enfuit en Italie, où elle finit sa vie dans un couvent à flanc de colline, se vidant enfin l'esprit dans la contemplation de la vallée fleurie.
Ce voyant, le spectre de son frère rigolait bien.
Il avait grandi dans une famille radieuse, aux revenus confortables mais pas excessifs, sous les yeux bienveillants de ses parents très liés. Ils le restèrent jusqu'à la mort, disparaissant ensemble dans un accident de montagne, encordés sur un mauvais à-pic.
Lui n'avait pas souffert de cette fin catastrophique. Il était grand déjà et suffisamment désabusé pour que ce malheur glisse sur lui sans dommage. Il était très occupé à séduire et abandonner à tour de bras les jeunes filles de bonne famille, luttant pied à pied contre leur vertu convenue, arrachant la victoire avec les dents et, quand enfin le sang coulait sur les draps, il sautait de leurs lits en fredonnant, ne se donnant pas même la peine de rabattre leurs jupons, les laissant dans des abîmes de honte, déjà parti sur une nouvelle piste, flairant la vulve timide. S'il faut souffrir, disait-il, qu'on souffre mais qu'il se passe quelque chose ! Et il s'y employait ardemment. On aurait dit qu'il cherchait à mourir en duel.
Il remplissait ainsi ses semaines, enchaînant les conquêtes larmoyantes, jusqu'au jour où il rencontra Justine. Elle aurait pu aussi bien échanger son N contre un C, tant elle lui en fit voir. Elle jouait avec lui comme avec un yoyo, le lâchant pour mieux le ramener à sa main, le faisant tournoyer à vomir.
Il souffrait, oui, enfin, il vomissait, de la bile, de la rage, de l'amour contrarié, de l'orgueil crevé aussi, mais enfin il avait l'impression d'être en vie. Ces petits jeux durèrent un long moment, plus d'un an, pendant lesquels il perdit une quinzaine de kilos. Sur la fin, on ne le voyait plus en société, seuls ses amis les plus proches et sa sœur désespérée – séduite secrètement elle aussi – lui rendaient visite. Ils s’alarmaient en chœur de le voir en un état si pitoyable, valises sous les yeux, chemise et mine fripées.
A la fin, Justine, constatant qu'elle avait bien sucé toute la moelle de ce jeune coq, lui signifia qu'il n'avait plus sa place dans sa vie et commença des aventures saphiques. Lui, roué de coups par la puissante cuisinière de l'ensorceleuse, fut trouvé à demi-mort devant le porche. Il resta alité trois mois, avant de se hacher les veines avec une fourchette, aussitôt qu'il eut retrouvé suffisamment de forces.
Bernardine, sa sœur, en fut dévastée. Elle l'aimait encore d'un amour dévorant, qu'elle masquait derrière une affection fraternelle, et fut transpercée de le voir périr ainsi.
Elle jura la fin de Justine. Elle fit tant et si bien qu'elle parvint à son tour à se glisser dans son lit. Le yoyo changea de main et Justine se tordit dans des tourments atroces.
Jocaste la cuisinière, amante éconduite de mademoiselle, ivre de haine, finit par saisir son grand couteau à légumes et tomba sur Bernardine sans crier gare, un petit matin où elle filait à l'anglaise en laissant Justine brisée. Mais Bernardine avait senti le coup venir et elle déchargea sur elle à brûle-pourpoint un petit revolver qu'elle portait sous sa gabardine. Jocaste s'écroula et clameça dans une large flaque de sang.
Bernardine, sur sa lancée, remonta et planta un autre pruneau dans la calebasse de Justine. Elle était lassée de ces jeux destructeurs.
Échappant aux gendarmes, elle s'enfuit en Italie, où elle finit sa vie dans un couvent à flanc de colline, se vidant enfin l'esprit dans la contemplation de la vallée fleurie.
Ce voyant, le spectre de son frère rigolait bien.
lundi 6 janvier 2014
Eloge du roulement à billes
Un anneau. Un autre
plus grand. Entre les deux, des billes. Deux sections de disques pour
tenir les billes dans un réduit. Le roulement est là.
Ingéniosité
dépouillée, une goutte d’huile et le roulement nous emmène au
bout du monde. Sa grande mission, son dévouement, son sacrifice,
finalement, car il y laisse son existence, c’est d'endosser les
frottements.
Les frottements nous
freinent, les frottements nous fixent. La mobilité, l’échange, la
connaissance du monde, les longues promenades à vélo dans le soir
finissant, c’est le roulement qui nous les offre. La fin de
l’isolement, de l’arriération au fond d’une vallée perdue ou
au bout d’une presqu’île battue par les vents, c’est grâce au
roulement. Le roulement a sonné le glas du crétinisme des Alpes.
Le progrès arrive en
skate.
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