Tous
les jours, John-John regarde des choses. Il est obligé de regarder
devant lui pour marcher, pour trouver son cheval, pour cuire son
fricot. Ses yeux limpides sont perdus dans l'ombre profonde de son
chapeau.
Il
a remarqué que les autres gens regardent eux aussi, pour marcher
pour prendre leur fusil, pour couper du bois. Mais pas seulement. Ils
regardent aussi les yeux des autres gens. John-John, lui, ne regarde
pas les yeux des autres gens, il regarde les choses dont il a besoin.
Il n'a pas besoin des yeux des autres gens, ce n'est pas avec ça
qu'il va couper du bois ou, beurk, cuire son fricot.
John-John
essaie de comprendre pourquoi les gens font ça. Il a remarqué que
souvent c'est quand les gens parlent à quelqu'un qu'ils regardent
ses yeux. Du coup, John-John comprend mieux pourquoi lui ne le fait
pas : il est solitaire, il ne parle pas à quelqu'un.
Mais
il se dit que si tout le monde le fait, c'est que ça doit servir à
quelque chose. Alors il veut essayer mais il n'y a personne. Il
s'approche de son cheval.
Il
lui parle mais ça fait peur au cheval, parce qu'il n'a pas
l'habitude. Alors John-John se tait et se contente de regarder ses
yeux. Le problème, c'est que le cheval a un œil de chaque côté de
la tête donc John-John ne peut pas regarder les deux en même temps.
D'ailleurs il ne regarde jamais qu'une seule chose à la fois, il
n'arrive pas à regarder deux choses en même temps.
Après
un bon quart d'heure à regarder l’œil gauche de son cheval, il ne
sent pas de différence. Il se dit qu'il faut essayer avec une
personne. Pour ça, il faut aller en ville. Il va aller au bazar,
acheter des clous. Il aime bien le patron.
Il
se met en selle et part. Ça prend une heure d'arriver en ville. En
chemin, il croise un crotale. Il essaie de regarder son œil mais le
serpent file se cacher mécontent.
John-John
arrive à Las Nalgas, descend de son cheval et entre dans le bazar.
Ce n'est pas le patron derrière le comptoir, c'est sa fille, Rosie.
Elle a des boucles blondes et, comme son nom l'indique, des joues
roses. Elle lui dit bonjour en souriant et lui demande ce qu'il veut.
Contrairement
au cheval, elle a les deux yeux en face mais John-John ne peut
toujours en regarder qu'un seul à la fois. Il choisit le droit, pour
changer. Rosie a l’œil droit d'un bleu très soutenu, planté dans
celui de John-John. Il est surpris, troublé, ébloui. Il se sent mal
à l'aise et ressort en grommelant que peut-être.
Il
va falloir s'entraîner.