Henri
est un petit garçon pâle, aux genoux cagneux. Il ne court pas vite,
toujours le dernier choisi pour les équipes de foot. Il n'aime pas
ça.
Il
parle peu. En classe, il se met près du mur. Certains
professeurs n'ont jamais entendu le son de sa voix. Il vit dans la
lune. Ce monde l'intéresse peu, il est comme en transit. Par hasard,
il a lu dans un livre : « Je considère la vie comme une
auberge, où je dois rester jusqu'à l'arrivée de la diligence pour
l'abîme. » Ça le fait
sourire : il n'est pas si déprimé mais, comme l'écrivain, il
comprend mal l'agitation des autres, toujours en train de préparer
des coups, des recettes mal fagotées du quotidien. Lui
flotte dans un univers beaucoup plus fluide.
Monsieur
Simon, professeur de géométrie, est le seul qui l'a remarqué. Dès
la première composition, il sent un esprit limpide, instantané. Il regarde mieux Henri, voit son profil d'enfant
d'ailleurs. Il le prend à part et lui demande : « Aimes-tu
la mathématique ? » Henri, sans le regarder, souffle :
« Oui ».
Alors
Monsieur Simon le prend par la main et l'emmène sur les sentiers
irréels du raisonnement pur, les échafaudages
vertigineux et incontestables, les raccourcis miraculeux. Ainsi Henri
passe toute sa vie parmi les conjectures.