Esmeralda
dort en paix dans son tiroir. Après une soirée animée hier, elle
goûte un repos bien mérité. Elle se repose d’autant plus
paisiblement qu’elle sait que, ce soir, on fera de nouveau appel à
elle. A partir de 18 h, ça peut arriver n’importe quand.
Lorsque
enfin le tiroir s’ouvre brusquement, elle ne peut retenir un petit
sursaut d’excitation, puis instantanément se change en prédatrice.
Très vite elle aperçoit sa victime, fonce sur elle et la décapsule.
L’abandonnant, elle agrippe une autre bouteille, l’ouvre aussi,
puis une troisième et une quatrième.
Malgré
toutes ces années, Esmeralda ne se lasse pas de la résistance vaine
de la capsule et du moment où, cédant, elle exhale son premier
soupir, avant de s’abandonner complètement. Esmeralda n’est pas
naïve, elle sait bien qu’au fond les bouteilles ne rêvent que
d’être ouvertes mais, dans ce petit théâtre domestique, chacun
joue sa partie avec application.
Pourtant,
Esmeralda se demande parfois si elle fera ça toute sa vie. Peut-être
pourrait-elle faire l’acquisition d’une vrille à bouchons, pour
tâter un peu du liège. Mais c’est une discipline exigeante, les
bouteilles de vin, ces demoiselles, peuvent se montrer sournoises. En
tout cas, ce qui est certain, c’est qu’elle n’ira pas au-delà
de la vrille. Elle ne veut pas finir comme Germain, son cousin qui
est dans l’armée suisse, bon à tout et propre à rien.