Chloé vient
d'un milieu tout à fait honorable. Sa famille est une lignée
continue de cadres intermédiaires du Haut-Rhin, acteurs
enthousiastes du développement local, dans la sidérurgie puis dans les
services par Internet. Ils sont incrustés dans des certitudes
taillées sur mesure, leur horizon collé à la ligne bleue des
Vosges. Chloé partage tout naturellement les conceptions familiales,
considérant confusément les tribus des arabes, des noirs et des
chinois comme moins bien que la sienne.
Jusqu'au jour où
elle croise devant le portail Lahcen, le livreur du Monoprix. Ses
traits secs, son regard charbonneux, sa finesse et son étrangeté la
touchent inexplicablement.
Elle enterre
aussitôt cette émotion.
Pourtant, le
soir même, alors qu'elle ferme les yeux, le regard fort ressurgit et
elle frissonne. Le lendemain, elle y repense furtivement et rougit à
la table du petit déjeuner. Puis la régulation psychologique fait
son travail et tout rentre dans l'ordre.
Quelques mois
plus tard, Chloé se marie avec Stéphane et, au fil des ans,
parvient à vieillir auprès de lui, évitant le divorce à plusieurs
reprises, malgré des tensions toujours renaissantes. Elle
passe ainsi complètement à côté de l'amour de sa vie.